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Remarques sur la syntaxe et l'analyse de la phrase

Louis HjelmslevPaul Diederichsen

pp. 161-163

Lines

Séance du 14 novembre 19501

1[Diderichsen] 1) Considérations historiques. La syntaxe s’est développée à partir de deux domaines de la rhétorique qui ont longtemps été distincts : (A) d’abord, la théorie des membres de phrase, qui se base elle-même sur la théorie des sept « circonstances » (where? when? etc.) et dont l’intérêt réside dans la possibilité qu’ont celles-ci de se trouver ou pas dans une phrase ; à partir de cette théorie, on démontrait que différents groupes de mots et de propositions secondaires peuvent jouer le rôle de membres de la phrase, puisqu’ils peuvent être remplacés par les adverbiaux quis, quia, quid, etc. On sait depuis le Moyen-âge que les propositions secondaires peuvent constituer des membres de phrase. Par la suite, les sept membres de phrase ont été réduits à trois (membre nominal, membre verbal, membre adverbial) sur la base d’opérations telles que le rangement du sujet et de l’objet dans une même classe, en tant que membres nominaux. Dans ce cas, il s’agit d’un premier pas fait pour s’affranchir de la substance, afin d’atteindre quelque chose qui ressemble à la forme. (B) Mais on mettait aussi en jeu le domaine de la rhétorique qui traitait de la segmentation rythmique – un sous-produit des règles de ponctuation : la phrase était conçue à l’origine comme une entité rythmique. On ne se bornait pas à en déterminer la protase et l’apodose sur la base de leur position (respectivement : position initiale et position finale), on les concevait aussi en tant que catégories de sélection (la protase pouvant se présenter en position finale). La position jouait d’ailleurs un rôle fondamental : on a parfois affirmé qu’on attendait la fin d’une phrase lorsqu’il était possible d’y mettre un point, ce qui veut dire qu’après ce point, aucune pro|position secondaire n’était incluse dans la phrase en question. On retrouve des traces de cette conception dans des travaux grammaticaux qui remontent jusqu’au début du XXe siècle (voir par exemple Mikkelsen,2 selon lequel il est très important d’établir si une proposition se présente en position initiale, médiane ou finale de phrase).

22) Contribution à la discussion actuelle. D’après Diderichsen, Hjelmslev souligne avec raison que la linguistique a créé plusieurs pseudo-problèmes en négligeant la règle de transmission, c’est-à-dire en négligeant le fait que des grandeurs à la fois complexes et simples peuvent se présenter sur le même niveau d’analyse. Il n’y a que les grandeurs complexes qui ont été appelées « phrases ». Cependant, Diderichsen déclare ne pas comprendre les principes qui régissent l’application de la catalyse.3 Grâce à la catalyse, on peut éliminer non seulement les propositions secondaires, mais aussi tous les membres de la phrase. Par exemple, il est toujours possible de se référer au membre de phrase qui se trouve en position initiale (le fundamentfeld ou « champ fondamental » dans la terminologie de Diderichsen) par un pronom, par exemple dans Napoleon, han … (Napoleon, qui …). Cela signifie que ce qui se présente dans le champ fondamental n’appartient pas à la phrase. On peut dire à la fois dengang jeg kom hjem, så … et i går, … .4 Une représentation de l’objet au moyen d’un pronom (han sagde det, at…)5 est plus rare, mais si cela est possible pour les propositions, il faut que cela le soit également pour les membres de phrase qui ne sont pas des propositions. La phrase sera donc constituée de pronoms verbaux, tandis que tous les membres de phrase seront relégués à une sorte d’extra-position. Voilà pourquoi l’application de la catalyse doit être limitée.

3[Hjelmslev] L’application de la catalyse est soumise à des critères d’adéquation. L’élimination des propositions secondaires est une opération tout à fait adéquate car c’est la solution la plus simple ; par contre, il n’est pas approprié d’éliminer d’autres membres de la phrase, même si cela est possible. D’ailleurs, la catalyse est limitée par l’impossibilité de s’appliquer à autre chose qu’à des cohésions.6 Cela ne signifie pas pour autant qu’elle entraîne obligatoirement quelque chose.

4[Diderichsen] Cependant, c’est bien le fonctif déterminant qui est encatalysé, à savoir le pronom. La séquence en soi ne demande pas de catalyse. C’est plutôt le cas pour des phrases comme Han sagde (han kom) (He said (he came)) ; en effet, sagde (said) présup|pose un complément : il y a cohésion entre sagde (said) et quelque chose d’autre, à savoir la proposition secondaire en question.

5[Hjelmslev] Si c’est le cas, cela doit déjà apparaître au moment où l’on divise le texte en deux phrases. Sagde (said) peut être suivi par un discours direct. Donc la cohésion aura déjà été enregistrée. La phrase Han sagde han kom (He said he came) inclut deux propositions : on peut introduire un at comme connectif. L’anglais that et l’allemand dass devraient probablement être inclus dans la proposition primaire en tant que pronoms.7

    Notes

  • 1 [Texte publié en anglais en (1970), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 8-31, pp. 138-139].
  • 2 Dansk ordføjningslære (Kr. Mikkelsen), 1911.
  • 3 Cf. Prolégomènes à une théorie du langage (L. Hjelmslev), 1971, p. 165, Déf. 88.
  • 4 Ces derniers exemples montrent la réintroduction d’une base adverbiale en danois à travers un pronom (, then).
  • 5 « He said this, that… », où la proposition introduite par at- (that …) est représentée par det (this).
  • 6 Cf. Prolégomènes à une théorie du langage (L. Hjelmslev), 1971, p. 165, Déf. 17 (d’abord nommée ‘konnexion’ – cf. Omkring Sprogteoriens Grundlæggelse, p. 55).
  • 7 Cette discussion se poursuit à l’item 2 de la quatrième séance.

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 161-163

Full citation:

Hjelmslev Louis, Diederichsen Paul (2022) „Remarques sur la syntaxe et l'analyse de la phrase“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 161–163.