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258022

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Analyse de la phrase

emphase et catalyse

Louis Hjelmslev

pp. 185-189

Lines

Séance du 13 février 19511

1[Diderichsen] ouvre la séance en résumant les résultats des séances des six derniers mois de l’année 1950. Il commence à avoir lui aussi des doutes sur la légitimité d’appliquer la catalyse aussi librement qu’il l’avait fait dans son analyse de la structure syntaxique du danois à l’occasion de la septième séance (19 décembre), et il est maintenant d’avis qu’il faut la limiter. Il reconnaît d’ailleurs ne pas avoir prêté suffisamment d’attention à l’emphase. Hjelmslev la définit comme une catégorie morphématique. Diderichsen fait part de son scepticisme par rapport à cette définition, mais il suggère de reporter la discussion : pour le moment il va considérer l’emphase comme morphématique. En danois, on peut donc établir trois degrés d’emphase : 1 (exprimé par 0), 2 (exprimé par un accent tonique [stress] normal) et 3 (exprimé par un accent tonique [stress] fort). Le degré 0 signifie que le thème n’a pas d’expression : il n’y a pas d’emphase sans thème, et il n’y a pas de thème quand l’emphase est au degré 0. En ce qui concerne le rapport entre le nominatif et le morphème verbal, il existe une différence entre le latin et le danois. La séquence danoise (style télégraphique) kommer i morgen (arrive tomorrow) peut être catalysée à jeg kommer i morgen (I arrive tomorrow) sans faire aucun changement d’emphase. Mais de ce point de vue, les séquences du latin veniam et ego veniam ne sont pas équivalentes : ego veniam représente le degré fort d’emphase. On peut peut-être dire que le nominatif, qui ne peut être en conjonction qu’avec le 2e et 3e degré d’emphase, rend défective la catégorie d’emphase, car l’accusatif, au contraire, peut avoir le 1er degré (0). D’autre part, on peut bien avoir un simple amat et y encatalyser me sans atteindre un plus haut degré d’emphase. En danois, la catalyse est donc admissible en présence du « nominatif », tandis que cela n’est pas possible en présence du translatif. Han synger (he sings) n’a pas le même degré d’emphase que han synger en sang (he sings a song). Il n’est pas question d’appliquer la catalyse dans ce cas.

2[Hjelmslev] est aussi de l’avis que, pour l’équivalence entre jeg kommer et veniam plutôt qu’avec ego veniam, la différence entre danois et latin s’explique en termes de différence entre les degrés d’emphase. Selon lui, cependant, deux degrés d’emphase sont suffisants. D’ailleurs, il n’est pas sûr qu’il soit possible d’encatalyser me et pas ego. Si amo pouvait exprimer à la fois amo et la séquence « nominatif + amo », la catalyse serait justifiée ; au contraire, le nominatif semble présupposer un thème, donc la catalyse n’est pas possible.

3[Diderichsen] suggère de considérer le pronom comme un mot sans thème, c’est-à-dire un complexe de morphèmes. Cela expliquerait pourquoi il peut être complètement laissé de côté.

4Selon [Togeby], les pronoms du latin ont des caractéristiques spécifiques : ce qui est important, c’est que l’emphase est exprimée de façon différente en danois et en latin. Le degré minimal d’em|phase en conjonction avec les pronoms est 0 en latin, tandis qu’en danois il est exprimé par l’accent tonique [stress] faible. Veniam et jeg kommer ont le même degré d’emphase, tandis que ego veniam et 'jeg kommer se trouvent à un degré supérieur. On est donc ici en présence d’une différence d’expressions entre le danois et le latin.

5[Fischer-Jørgensen] se déclare d’accord avec Togeby. Précédem|ment (cf. la septième séance du 19 décembre 1951), Hjelmslev avait souligné le fait que la catalyse ne peut avoir lieu que dans un seul plan – ici, le plan du contenu ; Diderichsen l’avait aussi souligné au cours de cette même séance, bien qu’il semble l’avoir oublié dans cette argumentation. À cet égard, le latin veniam doit être conçu comme correspondant au danois kom ! (come !). Il a été dit lors de la discussion précédente qu’il était possible d’encatalyser du (you) dans le plan du contenu sans entraîner un changement d’emphase – changement qui ne se vérifie d’ailleurs que lorsque du devient explicite.

6[Hjelmslev] répond qu’en premier lieu cette catalyse simplifie l’analyse du danois : on obtient une cohésion entre du (you) et kom ! (come !), et par là même, une cohésion entre la caractéristique verbale et le « subjectif ». De cette façon, on peut légitimement ne pas donner au vocatif le statut de cas. Cela rend la catalyse adéquate. Ce n’est pas le cas pour le latin. En second lieu, Hjelmslev soutient que l’entité encatalysée en danois est un syncrétisme irrésoluble exprimé par zéro. On a la même chose pour la troisième personne du latin ; au contraire, on ne peut qu’encatalyser ego dans la première personne, ce qui n’est pas un syncrétisme irrésoluble.

7[Fischer-Jørgensen] ne comprend pas pourquoi il est possible d’encatalyser des syncrétismes irrésolubles et non des entités con|crètes. Le fait même que le contenu ne soit pas ambigu fait qu’il est plus facile d’omettre quelque chose dans le plan de l’expression, même s’il est présent dans le plan du contenu.

8[Bjerrum] Pour ce qui en est du choix d’encatalyser le translatif dans le danois (en plus du changement d’emphase), cette catalyse ne permet pas d’obtenir de nouvelles catalyses, car on a déjà une cohé|sion entre le translatif et la caractéristique verbale du subjectif.

9[Diderichsen] est de l’avis qu’en latin et en danois, le cas présup|pose la caractéristique verbale.

10[Hynding] n’est pas d’accord sur ce dernier point : il mentionne l’exemple de l’expression latine rem difficilem, pour laquelle il doute que la catalyse puisse s’appliquer.

11[Diderichsen] propose une analyse syntaxique du danois incluant une catalyse dans les formes impératives et des séquences du sens vocatif, analyse qui ne demande pas d’encatalyser le translatif. Il y a solidarité entre une catégorie constituée d’un subjectif et d’un locatif (der = there), d’une part, et, d’autre part, des morphèmes extenses. Le translatif présuppose la présence de ces deux entités solidaires. Il en est de même dans des exemples comme han og mig var der (him and me were there – exemple apporté par Kr. Møller) : il faut qu’il soit possible de catalyser le translatif dans ham oh mig, vi var der (him and me, we were there). Les fonctions qu’on enregistre ici ne sont pas contractées par des membres de phrase, mais par des morphèmes. Il n’y a qu’un translatif : la différence de position entre l’objet direct et l’objet indirect ne relève que de l’usage. En effet, les positions peuvent changer en poésie. C’est le signifié des mots utilisés qui détermine le signifié de n’importe quelle fonction spé|cifique : dans han gav hestene (he gave the horses [food]) il n’y a qu’un translatif, et la catalyse ici ne sera qu’une complication inutile. Il y a combinaison entre les translatifs. Les adverbes tels que her, der, nu (here, there, now) peuvent être conçus en partie comme des cas. Le locatif, quant à lui, ne présuppose pas le translatif, avec lequel il contracte combinaison. Cela signifie que dans l’analyse il n’y a aucune raison d’isoler les adverbes avant les translatifs, ou encore d’isoler un translatif avant un autre. L’ordre sera déterminé par des considérations pratiques, par exemple : par ce qui, dans des langues avec des sélections, sera nécessaire à l’obtention de séquences ayant un signifié similaire.

12[Fischer-Jørgensen] attire l’attention sur deux phrases, à savoir han så manden, hesten og koen (he saw the man, the horse and the cow) et han gav manden hesten og koen (he gave the man the horse and the cow), qui doivent être identiques du point de vue de l’analyse formelle. Ce ne sont que les signifiés des thèmes verbaux, et gav (saw, gave), qui produisent les différentes relations du signifié.

13[Togeby] réplique qu’il est possible d’encatalyser un og (and) dans le premier exemple, alors qu’on ne peut pas le faire dans le deuxième.

14[Diderichsen] signale qu’il faut qu’il soit possible d’encatalyser un til (to) devant l’objet indirect dans le deuxième exemple.

15[Spang-Hanssen] observe que dans le cas où il y a parataxe, le nombre des translatifs est illimité ; on pourrait peut-être en admettre deux : un translatif ayant un nombre limité d’autres translatifs dans la chaîne, et un translatif en ayant un nombre illimité.

16[Diderichsen] répond à une question posée par E. Pauly : les différences du signifié entre l’objet direct et l’objet indirect ne sont pas sans importance : dans ce cas, il n’y a pas de commutation et ces différences relèvent donc de l’analyse de la substance. Tout compte fait, il ne reste pas beaucoup à analyser du point de vue formel si l’on suit cette méthode. Une description supplémentaire de la substance sera nécessaire, et c’est à ce niveau qu’on aura affaire à la grande partie de ce qui relève traditionnellement de l’analyse de la phrase. Un autre objectif important est de déterminer comment cette analyse de la substance doit être effectuée. Selon cette méthode, les membres de phrase de la syntaxe traditionnelle ne sont même pas des étapes de transition pour l’analyse glossématique, comme Hjelmslev l’a soutenu jusqu’ici. Nombre d’intervenants (par exemple Steen Sørensen, Saxe, E. Pauly) objectent que l’ordre des mots dans lequel l’objet indirect est antéposé à l’objet direct est fixe dans la prose. Il faut donc qu’il soit possible de le considérer comme l’expression d’une différence de contenu.

17[Hjelmslev] répond que, pour autant qu’il admet de considérer l’ordre des mots en tant que critère formel, par exemple dans des phrases interrogatives, il n’est pas possible de le faire dans le cas des objets direct et indirect. En effet, les mêmes grandeurs (à savoir les morphèmes, qui dans ce cas-là sont des morphèmes du translatif, et les sémantèmes) peuvent occuper les deux positions.

    Notes

  • 1 [Texte publié en anglais en (1970), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 8-31, pp. 153-157].

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 185-189

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Analyse de la phrase: emphase et catalyse“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 185–189.