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Sur l'accentuation des unités

Louis Hjelmslev

pp. 229-233

Lines

Séance du 26 mars 19571

1(Le texte de la communication a été établi par E. Fischer-Jørgensen sur la base de ses propres notes, de celles de L. Hjelmslev et de P. Diderichsen).

2Par le terme d’« accentuation », Hjelmslev entend à la fois la caractéristique et ses fonctions, c’est-à-dire à la fois les caractéris|tiques extenses et intenses (respectivement la modulation et l’accent [accent]), y compris les tons des mots [word tones] (comme en norvégien, suédois et quelques dialectes du danois). L’accentuation peut se manifester par l’accent dynamique [stress] ou par l’accent musical [tone] (tandis que le terme « intensité d’unité » [unit-stress] n’est utilisé que pour le premier). On utilisera le symbole « ʹ» pour l’accent dynamique fort [strong stress], et le symbole « ͵ » pour l’accent dynamique secondaire [secondary stress] ou pour l’accent dynamique faible [weak stress].

3Dans la construction « préposition + objet » on peut avoir : 1° deux accents dynamiques [stress] identiques (par exemple le jute « ʹi ʹhullet » = in the hole), 2° une unité accentuelle avec accent dynamique fort [strong stress] sur l’objet (comme en danois, en anglais, en allemand etc. – i ʹhullet) ; 3° une unité accentuelle avec accent dynamique fort [strong stress] sur la préposition (par exemple, le russe ʹna goru – dans cette langue, ce dernier cas ne se rencontre qu’avec des mots qui ont un accent mobile [mobile accent] ; ces mots peuvent devenir enclitiques seulement dans des formes où ils auraient eu sinon l’accent sur le thème [stem]). Il n’y a pas de différence de principe entre 2° et 3°, mais seulement une différence d’usage.

4Le placement de l’accent (accentuation) consiste en une syncré|tisation au sens large du terme ou plus précisément, dans le cas qui nous occupe, en une implication (cf. Omkring Sprogteoriens Grundlæggelse, pp. 79 et suiv.). Quand on parle de syncrétisme d’accent [accent], on suppose qu’il y a (au moins) deux accents [accent] commutables, manifestés dans l’état de langue considéré par l’accent dynamique [stress]. Un accent fort [strong stress] implique un accent faible [weak stress] dans certaines conditions, notamment quand le premier domine à l’intérieur de la même unité [unit].

5Toutefois, la dominance n’est pas une condition suffisante pour la présence de cette implication. Il faut ensuite que l’unité [unit] soit dotée d’une certaine structure morphologique (dans l’exemple don|né, la construction « préposition + objet »). On ne peut pas dire, toutefois, que l’unité [unit] domine l’implication : c’est l’accent dynamique fort [strong stress] qui est dominant. La dominance plus l’implication (la grandeur « impliquant », la syncrétisation) n’est que le signal pour l’unité [unit].

6Le signal est un phénomène d’expression, tandis que l’unité [unit] peut être une entité de contenu, comme c’est le cas dans l’exemple donné. Ici, donc, le signal est une entité hétéroplane (bien qu’il puisse exister aussi des signaux homoplanes).

7On observe une ressemblance superficielle entre l’exemple du russe et ceux que l’on peut rencontrer dans la langue tchèque, comme ʹdo školu, où l’accent dynamique [stress] est placé sur la préposition, bien que le tchèque ne possède pas d’accent [accent] commutable. En tchèque, on a un accent fixe [fixed accent] sur la première syllabe du mot (c’est-à-dire qu’il y a une intensité descendante), ou plutôt dans un groupe de mots qui peut être défini par un degré particulièrement haut de compacité plérématique (intimité plérématique). Le « groupe prépositionnel » en tchèque appartient tout simplement à la classe de ces groups d’intimité et n’a pas d’autre particularité. Pour cette langue, c’est l’accent fixe [fixed accent] qui constitue le signal pour la jonction d’expression ; dans ce cas il n’est donc pas question d’implication.

8On peut trouver des jonctions d’expression de degrés différents, par exemple : ˳han ˳faldti ʹvandet), « he fell (into the water) ». Du point de vue de sa réalisation, une jonction d’expression n’a qu’un seul accent dynamique fort [strong stress].

9Le signal peut être solidaire de l’unité signalée [unit], ou bien il peut sélectionner l’unité, comme dans le cas où le signal est facultatif. On formule l’hypothèse selon laquelle les signaux peuvent être identifiés par le fait de ne pas contracter une commutation mutuelle. Sinon, n’importe quoi pourrait être appelé « signal » (l’accent [accent] en tant que signal pour la syllabe, la voyelle en tant que signal pour le thème syllabique, etc.). Cela est particulièrement évident dans les cas où le signal est une fonction (il s’agira donc d’une syncrétisation), même si l’on peut trouver des signaux qui sont des « entités » (c’est-à-dire des fonctifs qui ne sont pas des fonctions).

10En danois, Hjelmslev ne reconnaît que deux accents [accents], manifestés par deux degrés d’accent dynamique [stress] : fort ( ʹ) ou faible ( ˳ ). (En présence d’emphase, ceux-ci peuvent se manifester respectivement comme ʹʹ et ʹ). L’accent dynamique secondaire [secondary stress] est conçu en tant que manifestation d’une variante de l’accent dynamique fort [strong stress] dans des composés cénéma|tiques (par exemple : ʹsol͵sortenthe blackbird), mais il peut aussi se manifester comme variante de l’accent tonique faible sous la dominance du stød2 (selon une formulation plus prudente : en solidarité avec le stød, dans les cas où la syllabe n’a pas d’accent dynamique fort [strong stress]), par exemple :  ʹar͵bejde (work). Dans ces cas, donc, la variante est un signal homoplane (d’un composé céné|matique).

11On peut trouver des exemples où il y a commutation, comme dans fad ʹøl (barrel of beer) et ʹfad͵øl (draught beer), mais la commutation n’est qu’une conséquence de l’implication dérivant à son tour de la syncrétisation (qui représente un signal). Le signal en tant que tel n’est pas commutable – cf. l’opposition entre ʹkongens ʹhave (the king’s garden) et ̥Kongens ʹHave (King’s Garden). Le signal n’est même pas commutable dans les rares cas où un composé et une unité simplexe ne diffèrent que du point de vue de l’accentuation : cf. broderʹlighed (brotherly resemblance), qui se manifeste comme ʹbroder͵lighed par rapport à ʹbroder̥lighed (fraternal spirit). Même si dans ces cas il y a commutation entre ʹ-lig et ̥-lig (comme du reste normalement entre ʹ et ̥), le signal est constitué d’une variante (ou « accent dynamique secondaire » [secondary stress]). En effet, les variantes contractent une substitution mutuelle, et pas une commu|tation.

12Les « tons des mots » [word-tones] (l’accent 1 et 2 en scandinave) ne sont pas des signaux : ils contractent une commutation mutuelle et sont des caractéristiques des jonctions (ni extenses ni intenses), comme cela est le cas, par exemple, dans le suédois aksel (1), (shoulder), et aksel (2), (axle).

13Le fait que la manifestation en soit l’accent dynamique [stress] ou l’accent musical [tone], n’a aucune importance. Cela dit, on trouve souvent une situation légèrement différente dans les langues tonales car elles ont fréquemment plus de deux accents. Par exemple, tout comme en tchèque, en letton l’accent dynamique sur la première syllabe [first-syllabe stress] est utilisé comme « signal du mot », même si, en même temps, les syllabes qui contiennent une voyelle longue peuvent recevoir un des trois accents (avec fusion dans le cas des voyelles brèves). En principe, il en va de même pour le lituanien. En tout cas, à l’intérieur de l’unité [unit], il n’y a qu’un seul accent dominant, tandis qu’il y a une fusion (souvent résoluble) dans les autres syllabes. En chinois, on trouve des implications et des fusions à l’intérieur des unités d’intimité [intimacy-unit].

14Une unité d’intimité d’une jonction cénématique [intimacy-unit of expression-junction] ne devient jamais, en tant que telle, égale à une nexie (ou nexus), même en ayant la même extension, et même si elle peut être définie comme une lexie. Pour cette raison, les syncré|tisations discutées jusqu’ici ne sont pas des signaux de nexies ou de lexies, même si l’on peut tout à fait rencontrer ce genre de signaux. La langue védique a deux accents [accents] commutables : un accent musical haut [high tone] et un accent musical bas [low tone]. Sur le plan du contenu, dans un verbe au mode personnel d’une proposition principale plérématique, l’accent musical haut est remplacé par un accent musical bas (sauf si le verbe est en position initiale). L’intonation y est donc différente entre le verbe de la proposition principale et le verbe de la proposition subordonnée. La proposition principale plérématique domine une implication d’accent musical haut et bas [high and low tone] : cette implication est le signal pour la proposition principale plérématique. Le signal sélectionne (pré|suppose) la proposition principale, car il y a des propositions principales sans verbe (phrases nominales). La langue danoise possède deux types d’intonation, une intonation montante et une intonation descendante, qui sont commutables et qui par conséquent ne sont pas des signaux : c’est la totalité constituée par « intonation montante + intonation descendante » qui constitue le signal pour la nexie de l’expression (tout comme, dans le cas de l’écriture, le point final ou l’initiale majuscule ont la même fonction et sont donc des signaux).

    Notes

  • 1 [Texte publié en anglais en (1970), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 8-31, pp. 202-205].
  • 2 Le stød est un phénomène accentuel danois, ressemblant à un coup de glotte.

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 229-233

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Sur l'accentuation des unités“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 229–233.