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Compte-rendu de Uhlenbeck

Oer-Indogermaansch en Oer-Indogermanen

Louis Hjelmslev

pp. 55-57

Lines

Séance du 25 novembre 19371

1Hjelmslev rend compte de C. C. Uhlenbeck, « Oer-Indogermaansch en Oer-Indogermanen » (1935), en considérant aussi les autres travaux de Uhlenbeck dans le même domaine.2

2Hjelmslev discute d’abord les bases de la distinction fondamentale opérée par Uhlenbeck entre deux complexes d’éléments à l’in|térieur du fonds de cette distinction n’est pas dans la comparaison avec d’autres familles de langues ; elle est gagnée par un examen interne de l’indo-européen même ; la comparaison avec d’autres familles apporte tout au plus un corollaire, et la distinction pourrait en elle-même rester valable même si ce corollaire faisait défaut. Uhlenbeck pense lui-même que les rapports entre l’indo-européen et d’autres familles ont pu savoir lieu avec un seul ou avec les deux complexes d’éléments,3 et qu’ils ont pu survenir à une époque où les deux complexes s’étaient déjà en partie confondus.4 C’est donc à l’indo-européen même qu’il faut se reporter pour la distinction en question. Uhlenbeck constate dans le fonds primitif de l’indo-européen deux composants, dont l’un (dit le complexe A) est constitué par la plupart des pronoms et par les racines verbales et les formations qui en dérivent, alors que l’autre (dit le complexe B) comprend les mots isolés, c.-à-d. indécom|posables au point de vue de la dérivation et non réductibles à des racines autrement constatées et admettant la dérivation régulière et productive. Le complexe A est la dose régulière, transparente, le complexe B est la dose irrégulière, aberrante, immotivée, opaque de l’ensemble du système indo-européen. Les proportions bien gardées, une distinction de cette sorte rappelle en principe celle de Bopp entre les racines verbales et les racines pronominales. Il paraît que dans presque n’importe quelle langue on serait à même d’opérer de telles distinctions entre des éléments qui par rapport à la dérivation se comportent différem|ment ; il est certain en outre que dans presque toute langue la distinction voulue par Uhlenbeck entre un fonds régulier et un fonds irrégulier serait en principe admissible et souvent utile. À plus forte raison la distinction soutenue par Uhlenbeck ne saurait guère être démontrable pour l’indo-européen primitif, mais seulement pour le total des bagages investis dans le fonds de l’indo-européen commun. La bonne méthode veut que, pour faire le départ entre les éléments archaïques et les formations postérieures, il faille donner aux formations irrégulières une si large part que les formations régulières ne comptent pas en réalité ; une racine productive en indo-européen commun aurait pu être aussi « isolée » en indo-européen primitif que telle autre racine qui ne jouit pas de la même faveur dans le système dérivatif de chacun des dialectes historiquement attestés. La distinction paraît donc se réduire à une simple distinction entre les racines productives et les racines non-productives de l’époque historique. Si cette distinction doit avoir quelque valeur génétique, la preuve doit être fournie par la comparaison avec d’autre familles de langues.

3Hjelmslev discute ensuite la notion de langue mixte utilisée par Uhlenbeck pour expliquer la situation de l’indo-européen. Il ne peut s’agir en l’espèce d’une langue mixte dans le sens d’une langue créole, mais d’une langue mixte du même type que l’anglais ou l’albanais par exemple. Dans la théorie indo-européenne le « système grammatical » ne peut être qu’un noyau de formants et d’affixes transmis du fonds primitif, et qui peuvent s’ajouter, exclusivement ou en partie, à des racines et des thèmes empruntés. Dans ce sens n’importe quelle langue est à qualifier de langue mixte. Les résultats apportés par Uhlenbeck ont ceci de nouveau qu’ils permettent, dans la mesure où ils sont tenables, d’identifier les sources d’emprunt.

4Enfin, Hjelmslev analyse les notions de parenté génétique et d’emprunt telles qu’elles sont utilisées par Uhlenbeck. Uhlenbeck se refuse à accepter ces notions dans le sens traditionnel,5 mais sans leur substituer, à ce qu’il semble, des notions nettement établies. Il ressort clairement des exposés de Uhlenbeck qu’il ne s’agit, dans le cas de l’eskimo et de l’indoeuropéen, ni d’un pur hasard, ni d’une parenté élémentaire,6 ni d’une parenté génétique, ni d’une parenté secondaire. Il en résulte, selon Hjelmslev, que dans ces conditions il devrait s’agir d’emprunts. Le difficile est de faire la preuve de ces emprunts, parce qu’on ne dispose pas de données fournies par des langues génétiquement apparentées ; le cas du latin bōs et clair, parce qu’on possède les correspondances régulières qui décident s’il s’agit d’un emprunt ou non (cf. ueniō en vue de bōs) ; pour l’indo-européen en face de l’eskimo, le cas est autre.

5Le maître hollandais a le grand mérite d’avoir recueilli des matériaux vraiment impressionnants pour l’examen des rapports possibles entre l’eskimo et l’indo-européen. Pour les apprécier il convient d’assurer très soigneusement la méthode à employer, en vue de définir exactement l’espèce de rapports dont il peut s’agir. On espère que Uhlenbeck, qui n’a donné encore que des communications provisoires sur ses recherches dans ce vaste domaine, réussira à fournir sur ces bases la preuve de ses hypothèses.

    Notes

  • 1 [Texte publié en français en (1939), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 4, pp. 6-9].
  • 2 C. C. Uhlenbeck, The Indogermanic Mother Language and Mother Tribes Complex, American Anthropologist XXXIX, no. 3, 1937, était venu trop tard à la connaissance de Hjelmslev pour pouvoir être apprécié dans son exposé.
  • 3 Cf. Mémoire de la Société finno-ougrienne, LXVII, p. 397.
  • 4 Cf. Eskimo en Oer-Indogermaansch, Mededeelingen d. kon. Ak. v. W., afd. Letterk., deel 77, sér. A, no. 6, p. 180 sv.
  • 5 Cf. International Journal of American Linguistics, IV, p. 231, sv.
  • 6 Cf. Mélanges linguistiques offerts à Holger Pedersen (Acta Jutlandica IX, 1), p. 114.

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 55-57

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Compte-rendu de Uhlenbeck: Oer-Indogermaansch en Oer-Indogermanen“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 55–57.