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Remarques à propos du compte rendu de Smith

sur l'ouvrage de P. Menzerath, "Der Diphtong" (1941)

Louis Hjelmslev

pp. 89-91

Lines

Séance du 16 décembre 19411

1Menzerath pose mal son problème et surestime ses résultats. D’une part, on ne sait pas s’il s’agit d’un problème formel ou réel. Il faut dire tout d’abord que la question de la diphtongue doit être surtout, et même exclusivement, un problème formel consistant à trouver une définition adéquate, c’est à dire satisfaisante des points de vue théorique (donc exempte de contradiction) et pratique (donc conforme en principe à l’essentiel des emplois faits jusqu’ici du terme « diphtongue »). Ce problème ne comporterait ni preuve ni expérimentation. Or ce n’est pas l’avis de Menzerath : dès la pre|mière page, on voit qu’il s’agit pour lui de prouver quelque chose, et de le prouver expérimentalement. Il ne s’applique pas à proposer une définition, mais plutôt à trouver des ‘résultats’. C’est un ‘résul|tat’ que la diphtongue est monosyllabique : c’est un ‘résultat’ aussi qu’elle se compose de deux voyelles. Cette attitude ambitieuse de l’auteur ne semble pas correspondre à la réalité des faits. C’est bien une définition qu’il nous donne, et ce qu’il y ajoute n’est qu’une tentative d’en démontrer l’utilité, et rien de plus. D’autre part, Menze|rath ne nous éclaire pas d’emblée sur sa théorie : le problème qu’il veut traiter, est-ce un problème linguistique, psychologique ou phonique ? Menzerath, qui se vante de distinguer plus rigoureusement que ses prédécesseurs les côtés ‘articulatoire’ et ‘acoustique’ du problème phonique, n’a de toute évidence pas le même souci de précision dès qu’il s’agit de délimiter son champ d’étude. Ce qu’il veut étudier, est-ce la parole (Sprechen) ou la langue (Sprache) ? En enregistrant sur son géniographe les traces qui lui servent de base, il examine en physiologiste certains mouvements de la parole pho|nique ; en restituant un mot au moyen des morceaux découpés du film sonore, il procède, au contraire, en psychologue : ce qui lui importe ici, c’est que le sujet écoutant ‘reconnaisse’ une unité (un mot ou une partie d’un mot) par lui connue d’avance. Quand il parle de la « fonction des sons », l’attitude de Menzerath est ambigüe, il est vrai, mais cette fonction doit être tout de même linguistique, au moins dans une certaine mesure. L’auteur répondrait peut-être qu’il faut réunir ces différents points de vue en une synthèse. Hjelmslev est du même avis, mais voudrait insister sur la nécessité de prendre conscience des rapports existant entre les points de vue en question ; ils ne sont pas du même ordre : le problème linguistique peut être étudié sans recours à la psychologie et à la phonétique (phonologie), alors qu’une étude psychologique ou phonique sans fondement linguistique serait un travail en l’air ; le point de vue linguistique prime sur les autres. Or les problèmes linguistiques de la syllabe et de la diphtongue semblent avoir été résolus par certains auteurs que Menzerath omet de citer, soit par négligence, soit par ignorance (voir H. J. Uldall ; On the Stuctural Interpretation of the Diphtongs dans les Proceedings of the Third International Congress of Pho|netic Sciences, 1939, p. 272 et suiv.), et c’est manifestement à tort que Menzerath, à la page 61 de son livre, fait passer pour nouvelle la définition qu’il proclame (la soi-disante Zwei-Elementen-Theorie). Cette « découverte » nous semble déjà avoir été faite. Ce qui reste du livre de Menzerath est un essai en vue de montrer que la manifestation phonique de la grandeur linguistique appelée « diphtongue » est uniforme. Cette tentative est forcément vouée à l’échec, puisque dans la prononciation il n’y a rien de constant ni d’obligatoire. Ce que l’auteur nous montre n’est, en définitive, que le fait que la mâ|choire se meut quand elle se meut. Rien ne nous empêche en effet de produire une parole phonique sans mouvoir la mâchoire infé|rieure ; c’est là un truisme connu depuis très longtemps en phoné|tique.

    Notes

  • 1 [Texte publié en français en (1970), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 8-31, pp. 208-209].

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 89-91

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Remarques à propos du compte rendu de Smith: sur l'ouvrage de P. Menzerath, "Der Diphtong" (1941)“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 89–91.