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258004

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Remarques aux comptes-rendus sur "Omkring Sprogteoriens Grundlæggelse"

P. Diderichsen, E. Tranekjær Rasmussen, J. Jørgensen, K. Togeby, H. Emmertsen, L. L. Hammerich, H. Wett Frederiksen, P. Johs. Jensen, C. Høeg, A. Arnholtz pendant les séances du 18 et 25 avril 1944 et du 2 mai 1944

Louis Hjelmslev

pp. 102-105

Lines

Séance du 2 mai 19441

1Hjelmslev répond, dans un exposé d’ensemble, aux observations qui lui ont été faites à propos de son livre lors des trois séances précédentes. Il se déclare d’accord avec Tranekjær Rasmussen qui soutient que le but de la théorie est de proposer une méthode. C’est ce dont Høeg n’a pas pris conscience, lorsqu’il reproche à la théorie, voire à ses prolégomènes, de ne rien apprendre de nouveau sur le langage et de ne fournir aucune aide pour sa compréhension. C’est méconnaître profondément le but des prolégomènes d’une théorie, et demander à la théorie ce qui ne peut être donné que par les applications.

2Si Høeg avait voulu contester l’utilité scientifique de la théorie, il aurait dû motiver son point de vue pour qu’une réponse soit possible. Au sujet des observations émanant surtout de Jensen, Kemp2 et Arnholtz, Hjelmslev maintient que le but du travail scientifique est l’analyse, y compris la classification. C’est la théorie qui devrait permettre de procéder à un tel travail scientifique et de le mener à bien. Hjelmslev admet l’analogie entre la glossématique et le gestaltisme. En effet, une unité n’est pas la simple somme des éléments dont elle se compose. Les rapports entre ces éléments sont décisifs pour la constitution et pour la définition de l’unité.

3Saxe3 a parfaitement raison en soutenant qu’une proposition ne se réduit pas à la somme des mots qui y entrent, et que le fait « syntaxique » y est pour quelque chose ; mais il a tort lorsqu’il reproche à la théorie de ne pas avoir tenu suffisamment compte de ces faits. Le rôle des rapports est également manifeste : ’jument’ n’équivaut pas à ‘cheval’ plus ‘femelle’, mais au syntagme ‘cheval femelle’, constitué par la relation spécifique entre terme primaire et terme secondaire. Ce principe se retrouve partout ; la langue en elle-même n’est pas une somme de contenu et d’expression, mais une solidarité contrac|tée par ces termes entre eux. La théorie ne comporte aucun postulat d’existence. Elle part d’une hypothèse sur la nature du langage, mais ce « modèle » du langage n’est pas une entité indépendante de la théorie, qu’il faudrait hypostasier. Les quelques critiques qui ont été soulevées laissent à tort supposer qu’il y a un rapport entre la théorie et une prétendue réalité.

4Jørgensen a manifestement raison lorsqu’il soutient que la notion d’analyse est ambiguë, c’est cependant une ambiguïté nécessaire, spécifique peut-être au langage ; une distinction entre deux sortes d’analyse ne semble pas pertinente pour les objectifs que vise la théorie. La théorie est fondée sur un principe d’analyse en parties solidaires et en parties dont l’une présuppose l’autre, mais pas inversement. Ainsi l’usage présuppose le schéma, mais pas inversement ; au lieu des termes ‘usage’ et ‘schéma’ on peut dire aussi, conformément à la tradition saussurienne, ‘substance’ et ‘forme’, mais il vaut mieux éviter ces termes qui prêtent à équivoque. Il est évident, d’autre part, qu’il y a une différence entre une totalité analysée et une totalité non analysée ; c’est ainsi que nous proposons de distinguer, dans le plan du contenu, entre le sens, qui est une totalité non analysée, et la signification, qui est analysée et qui par conséquent présente une structure interne. Une phrase d’une langue et une phrase d’une autre langue peuvent avoir un rapport mutuel tel que l’une de ces deux phrases est la traduction de l’autre ; ce qui leur est commun est le sens ; ce par quoi elles diffèrent est la forme, et par conséquent, la signification. Høeg ne veut pas admettre qu’il existe quelque chose de commun entre de telles phrases ; on s’étonne quelque peu de rencontrer ce point de vue chez un éminent traducteur des auteurs classiques. From4 demande si un sens peut être amorphe ; mais amorphe signifie seulement « non analysé ». À l’encontre de Fischer-Jørgensen, Hjelmslev maintient que l’analyse du schéma ne doit pas être confondue avec celle de l’usage. Il s’agit simplement d’une stratégie qui vise au résultat le plus simple. Analyser le schéma sans tenir compte de l’usage, et inversement, serait compliquer inutilement le travail. Il est en principe possible d’analyser le schéma sans tenir compte de l’usage (mais pas inversement), mais ce n’est pas très pratique ; et le fait de tenir compte, à un certain stade de l’analyse, des stades ultérieurs prévisibles, ne signifie pas qu’il y a confusion entre ces stades. On retrouve cette confusion dans la linguistique classique ; la glossématique, par contre, l’évite à dessein.

5Au sujet des remarques de Fischer-Jørgensen sur les diverses « substances » pouvant remplir une même « forme », Hjelmslev fait observer qu’un même contenu peut être exprimé dans divers sys|tèmes d’expression, et inversement. Le schéma d’expression constaté dans une langue donnée n’est, par conséquent, pas le seul possible dans cette langue. C’est pourquoi une langue peut présenter plusieurs schémas, manifestés chacun dans sa « substance », prononciation, écriture, etc.

6Hjelmslev répond à Togeby que le rapport entre schéma et usage est arbitraire, ce qui n’empêche pas qu’il y ait affinité entre certains faits du schéma et certains faits de l’usage, de sorte qu’une « substance » donnée se prête plus facilement qu’une autre à manifester une « forme » donnée.

7La description topologique exigée par Tranekjær Rasmussen ne va pas à l’encontre du principe de la glossématique. La théorie de la participation et la statistique des variations, prévues toutes deux dans la théorie, servent à répondre aux exigences d’une description qui rend compte des transitions graduelles entre classes, là où ces transitions existent.

8L’analyse de l’usage exigée par la glossématique, et l’exhaustivité qu’elle implique, semblent satisfaire aux besoins dont a parlé Jensen. Si ‘jument’ est analysée comme ‘cheval femelle’, cette analyse n’implique pas que l’unité globale de ‘jument’ soit abandonnée dès ce moment-là ; au contraire, il reste à la décrire en tant qu’unité, sous toutes les coutures. La description et l’analyse connotatives de cette unité devraient faire ressortir les valeurs sociologiques, humaines, esthétiques, etc. qui lui sont inhérentes. Hjelmslev peut se déclarer d’accord avec Jensen en ceci que c’est la « substance » qui constitue le sens et la raison d’être de l’analyse ; c’est justement pour cette raison que l’analyse doit être exhaustive. Le choix qui s’offre à nous n’est pas de trancher entre une description du schéma et une description de l’usage, mais bien, de fait et historiquement, de choisir entre une description à la fois du schéma et de l’usage et une description qui, comme celle qui a été pratiquée jusqu’ici, se borne à l’usage sans tenir compte du schéma. Il semble que ces observations peuvent aussi, dans une certaine mesure, tenir lieu de réponse à Hammerich. La description exhaustive est une description qui est à la fois synchronique et génétique. Mais c’est manifestement la génétique qui présuppose la synchronie, tout comme c’est l’usage qui présuppose le schéma, et pas inversement. Les controverses semblent se réduire au choix du procédé à suivre. L’accord est apparemment unanime sur le but à atteindre. Hammerich a d’ailleurs raison en soutenant que la matière phonique est héritée du passé ; toutefois, il semble y avoir contradiction entre les points de vue qu’il professe, puisqu’il maintient en même temps que c’est la phonétique, et elle seule, qui doit servir de base à la linguistique. Or cette linguistique s’arrêterait logiquement au stade où le passé serait inconnu.

    Notes

  • 1 [Texte publié en français en (1970), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 8-31, pp. 71-74].
  • 2 Observations non publiées.
  • 3 Observations non publiées.
  • 4 Observations non publiées.

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 102-105

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Remarques aux comptes-rendus sur "Omkring Sprogteoriens Grundlæggelse": P. Diderichsen, E. Tranekjær Rasmussen, J. Jørgensen, K. Togeby, H. Emmertsen, L. L. Hammerich, H. Wett Frederiksen, P. Johs. Jensen, C. Høeg, A. Arnholtz pendant les séances du 18 et 25 avril 1944 et du 2 mai 1944“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 102–105.