Series | Book | Chapter

258021

Outline

Discussion sur l'analyse de la phrase (suite)

Louis Hjelmslev

pp. 180-184

Lines

Séance du 19 décembre 19501

1Selon [Diderichsen], si on affirme que les fonctions de la syntaxe traditionnelle s’établissent entre des catégories de variantes, cela veut dire qu’on n’a pas encore trouvé de terminologie adéquate. En ce qui concerne l’objet, par exemple, il y aurait une fonction entre les variantes « transitives » de tous les thèmes verbaux, d’un côté, et certaines variantes de tous les noms en combinaison avec les verbes, d’un autre côté. Il faut essayer de réduire les fonctions de la syntaxe traditionnelle à des fonctions entre les morphèmes. La première question à résoudre, toutefois, est celle de la légitimité de la catalyse. Une catalyse n’est possible que dans les cas où on a affaire à des cohésions, et puisque les fonctions établies s’appuient sur la catalyse, il semble qu’il y ait ici un cercle vicieux.

2D’après [Hjelmslev], il faut choisir la procédure conduisant à la solution la plus simple. La catalyse est à appliquer dans tous les cas où il est possible d’établir des cohésions (à condition évidemment qu’il y ait substitution entre la séquence catalysée et celle non-catalysée), pourvu que cela ne donne pas lieu à des complications lors des stades ultérieurs de l’analyse. Il est d’ailleurs important de s’assurer que la catalyse est appliquée seulement sur un plan (soit le plan de l’expression soit le plan du contenu), sinon il n’y aura pas de substitution : un élément encatalysé dans le plan de l’expression ne doit engendrer aucun changement dans le contenu, et, de même, un élément encatalysé dans le plan du contenu ne doit entraîner aucun changement dans l’expression. Tag ! (Take !) est identique à Tag ! (Take !) qui a l’élément du contenu du (you) encatalysé, bien qu’il n’y ait aucun du (you) dans l’expression. Dans tous les vocatifs, il faut encatalyser un impératif, puisque cette opération comporte une analyse plus simple de la nexie (en permettant par exemple d’éliminer le vocatif en tant que morphème extense). De plus, il faut encatalyser le contenu du vocatif dans tous les impératifs.

3[Togeby] suggère alors l’application de la règle de transmission pour éviter la catalyse. On peut transmettre Tag bogen ! (Take the book !) au stade où on arrive à l’analyse de (han) tog bogen ((he) took the book), et l’analyser à ce niveau.

4[Hjelmslev] objecte qu’en tout cas, cela n’est pas possible pour le vocatif.

5Selon [Bjerrum], si par exemple l’on encatalyse le vocatif dans l’impératif du latin, il est possible de concevoir le vocatif comme une variante du nominatif par rapport à l’impératif. Plusieurs interlocuteurs objectent que cela est une question qui relève de la catégorie des cas dans son ensemble. Etant donné le nombre de fonctions par rapport aux différents cas, le test de commutation est difficile à appliquer.

6[Diderichsen] essaie d’interpréter les fonctions syntaxiques en danois comme si elles étaient des fonctions entre morphèmes :

71. le sujet/prédicat : cette fonction peut être décrite comme une solidarité entre un morphème du verbe impersonnel et un mor|phème nominal (+ le cas particulier de der (there)).

8[Togeby] objecte que 1) si on ne reconnaît pas som (who, which, that) en tant que sujet de la proposition secondaire, il n’y aura aucun sujet (ou nominatif), et que 2) il est douteux qu’on ait affaire à une solidarité si l’accusatif a été conçu en tant que terme extensif par rapport au nominatif (pouvant se substituer au nominatif).

9[Diderichsen] répond aux objections de Togeby en remarquant que 1) Togeby a encatalysé un élément du contenu dans la proposition secondaire ; 2) l’accusatif ne peut pas remplir à lui seul le rôle de sujet – il faut qu’il y ait un mot au nominatif : ham skrædderen var her (*him the tailor was here), mig og Peter kom (me and Peter came), où skrædderen (the tailor) et Peter sont conçus en tant que nominatifs – cf. mig og ham, vi kom (me and him we came) ;

102. l’objet : il faut qu’il soit possible d’affirmer que l’accusatif présuppose une combinaison entre un nominatif et un morphème verbal. Dans l’immédiat, il sera plus pratique de ne pas prendre en compte les infinitifs qui ont le rôle d’objets, par exemple han ønsker at rejse (he wants to go), puisque la présupposition semble être plus difficile à justifier dans ces cas-là.

11[Hjelmslev] attire l’attention sur le fait que si on conçoit l’infi|nitif-optatif comme une seule forme, elle ne présuppose aucun nominatif. Diderichsen ajoute qu’il faut qu’il soit possible de définir un cas en se basant d’une part sur la position à l’intérieur du système des cas et d’autre part sur sa fonction syntaxique (comme pour l’accusatif ci-dessus). Hjelmslev répond à cette observation en disant qu’on doit pouvoir déduire la fonction syntaxique de la définition (substantielle, c’est-à-dire sémantique) mais aussi de la connaissance de la structure du nexus danois ;

123. l’objet indirect : la fonction entre l’objet direct et l’objet indirect n’a rien à voir avec les cas. Elle se trouve à un autre niveau. La séquence n’est pas fixe non plus : la possibilité d’établir la nature de chaque élément dépend de la signification de la séquence dans son ensemble. De plus, selon [Diderichsen], il est toujours possible d’encatalyser à la fois l’objet direct et l’objet indirect, ce qui revient à dire qu’on a toujours affaire à deux accusatifs, ou mieux (comme Hjelmslev préfère le dire) à deux translatifs pour chaque verbe transitif, car on a toujours la possibilité d’encatalyser un datif éthique. Pour résumer, on peut dire qu’il y a solidarité entre un nominatif et un morphème verbal de mode personnel, et que cette fonction contracte à son tour une solidarité avec deux translatifs mutuellement solidaires. Toutefois, la fonction entre ces deux translatifs n’est qu’une fonction entre variantes : on ne peut la décrire qu’à partir de la substance.

13[Aage Hansen] objecte qu’il est tout de même possible d’intro|duire un datif éthique dans des phrases qui comportent deux objets, comme dans le cas d’une proposition incise du type efter min mening (in my view) etc. Il s’agit là d’une affirmation concernant le point de vue du locuteur par rapport au discours, qui par consé|quent n’appartient pas à la phrase en question mais à un niveau différent. Hjelmslev est du même avis ; on doit pouvoir dire han stak mig manden 10 kr ud,2 etc. Faut-il en déduire que l’on a affaire ici à trois translatifs ? Aage Hansen attire aussi l’attention sur un exemple comme det sner (it snows/is snowing). D’après Hjelmslev, il serait possible d’y encatalyser en masse (a lot) ou en smule (a little) pour obtenir det sner en masse/en smule (it snows/is snowing a lot/a little), ou bien un syncrétisme de ces expressions.

14[Bjerrum] évoque le cas du passif. Que faut-il encatalyser dans han dræbtes (he was killed), der synges (*there is sung, c’est-à-dire somebody sings), etc. ?

15[Diderichsen] affirme que l’agent peut être encatalysé dans une phrase passive.

16[Fischer-Jørgensen] remarque que si on peut encatalyser ce type de phrases prépositionnelles, il n’y aura pas de limite aux éléments adverbiaux (de temps, de lieu, de manière, etc.) qu’on pourra encatalyser.

17C’est bien ce que [Diderichsen] souhaite, puisque cela entraîne|rait la réapparition de son schéma syntaxique maximal, ce qui est un développement inattendu. Cependant, la réduction des autres membres du même groupe à ceci était dans une certaine mesure limitée.3

18Le dernier point discuté voit un retour à la question de la subordination : l’accord est général pour concevoir la subordination com|me une fonction fondée sur la substance, tout comme celle qui existe en danois entre objet direct et indirect. L’analyse en constituants immédiats est donc elle-même fondée sur la substance. L’équivalence entre I – saw John et I – ran découle du fait que les fonctions de substance restent inchangées – ce qui reste un facteur assez vague. La procédure se révèle utile pour analyser des langues inconnues, mais ne peut pas être utilisée dans le cadre d’une analyse linguistique définitive.

19[Hjelmslev] conclut que les catégories syntaxiques traditionnelles sont universelles et n’ont donc aucun rapport avec la langue : elles relèvent d’une analyse de la substance. Ce qui est intéressant est précisément d’observer ce sur quoi ces catégories se basent et quelle fonction elles entretiennent avec les grandeurs de la forme linguistique. De même, le terme « génitif » est un terme générique qui relève de la substance : il est communément utilisé pour nommer des constructions casuelles dont la forme peut énormément changer d’une langue à l’autre.

    Notes

  • 1 [Texte publié en anglais en (1970), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 8-31, pp. 150-153].
  • 2 L’exemple est difficile à traduire, le signifié du datif éthique (mig) encatalysé étant élusif. Voici un exemple du même genre : du giver mig ham for mange æbler (*you give me him too many apples) dans lequel le datif éthique (mig = me) signifie « à mon avis ».
  • 3 Au cours de la séance du 13 février 1951, les interlocuteurs sont parvenus à se mettre d’accord pour limiter l’application de la catalyse.

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 180-184

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Discussion sur l'analyse de la phrase (suite)“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 180–184.