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Discussion sur l'emphase et la catalyse

Louis Hjelmslev

pp. 192-195

Lines

Séance du 27 février 19511

1[Diderichsen] ouvre le débat sur l’agencement de l’emphase au sein de la description linguistique. Selon lui, il n’est pas possible de la définir comme élément relevant du contenu. Dans l’expression jeg 'synger (I 'sing), en tant qu’opposée à 'jeg synger ('I sing), il n’y a aucun nouvel élément du contenu : le contenu reste le même, alors qu’un élément du contenu est mis en relief. L’emphase est rangée dans la même classe que des phénomènes tels que l’intonation de phrase et la pause. À proprement parler, la fermeture on la non-fermeture de la phrase, souvent considérées comme contenu de certaines configurations prosodiques, ne sont même pas des éléments plérématiques. On n’a ici qu’une certaine segmentation du discours. L’emphase et l’intonation de la phrase ne sont que des éléments relevant de l’usage qui modèlent la manifestation des signes. Cette segmentation rythmique-mélodique de l’expression des signes rend plus clair le signifié structural du contenu des signes, car c’est à ce niveau que sont tissés les connotateurs (appelés ainsi par Hjelmslev), c’est-à-dire les attitudes subjectives, les sensations et les sentiments. On a affaire ici à des phénomènes qui relèvent de la psychologie de la Gestalt, et qui n’appartiennent nullement au domaine de la forme linguistique. De plus, on retrouve dans ces cas-là un isomorphisme entre contenu et expression. L’emphase sur le plan de l’expression correspond à l’emphase sur le plan du contenu ; par ailleurs, il en existe différents degrés, de sorte que la commutation est très difficile à appliquer. Cette remarque vaut aussi pour l’intonation de phrase en tant qu’expression de sa fermeture : on n’a pas seulement isomorphisme, mais aussi un nombre arbitraire de degrés de fermeture dépendant de la possibilité de descente du ton. Il est difficile de séparer les éléments connotatifs des éléments dénotatifs lorsqu’on a affaire à ce genre de phénomènes.

2[Togeby] soutient lui aussi que l’emphase est un élément du signe, bien qu’il soit possible d’appliquer le test de commutation lorsqu’on est en présence d’une emphase contrastive, en tous cas en français (c’est une 'femme que j’aime en opposition à c’est une femme que 'j’aime). Par contre, l’emphase affective (c’est 'merveilleux), qui peut tout aussi bien être exprimée d’une autre manière, reste en dehors du domaine de la structure linguistique.

3[Fischer-Jørgensen] se déclare d’accord avec le fait que ces deux types d’éléments doivent être distingués – on le voit aussi bien en anglais (cf. une première description faite par Coleman) qu’en danois (au moins pour certains types d’usage) ; Diderichsen affirme à juste titre que ce qui rend difficile l’application de la commutation, ce sont les nuances isomorphes dans l’expression comme dans le contenu – nuances qu’on retrouve également dans l’emphase contrastive et dans l’intonation de phrase.

4[Hjelmslev] réplique à ces considérations qu’il faut toujours tenter d’appliquer le test de commutation, sans tenir pour acquis qu’il ne puisse pas être appliqué à des phénomènes donnés. D’ailleurs, on l’a vu : il est tout à fait possible de l’appliquer dans le cas de l’em|phase contrastive. Pourtant, rien n’a encore été dit sur les consé|quences découlant du fait d’envisager des types spécifiques de différence de contenu, par exemple lorsqu’on néglige certains éléments sous prétexte de ne pas les avoir reconnus de prime abord comme de véritables éléments du contenu. Au contraire, l’enregistre|ment d’une différence quelconque sur le plan opposé doit suffire.

5[Spang-Thomsen] signale que dans ces cas, il y a une correspondance biunivoque entre expression et contenu.

6[Hjelmslev] précise cette affirmation en disant que dans ces cas, il n’y aura qu’un taxème dans chaque plan.

7[Spang-Hanssen] attire l’attention sur le fait que si la structure d’une langue dans son ensemble était de ce type-là, elle serait un jeu et non une langue ; tout comme les numérales de l’arabe, les facteurs d’emphase seraient alors des éléments de jeu dans le système linguistique, qui pourraient être inclus ou exclus de la description de la langue de façon purement arbitraire. De plus, les différences dans les degrés de distinctivité n’ont rien à voir avec l’emphase.

8[Diderichsen] concède que dans certaines langues, l’intonation interrogative peut constituer un formant d’un morphème de mo|dalité (de la même façon que les particules et les désinences), bien que dans ce cas il n’y ait qu’une similarité de substance entre l’expression de ce morphème et le phrasé rythmique-mélodique, ce qui est quelque chose de différent. À l’égard de l’emphase, Diderich|sen pose aussi la question de la manifestation psychologique du contenu. Il est difficile d’établir si (ou à quel degré) les grandeurs plus petites sont « manifestées » ou latentes. On peut présumer qu’il n’y a que la manifestation des totalités significatives qui soit réellement « consciente ».

9[Hjelmslev] est également de l’avis que ce ne sont que les tota|lités qui atteignent le niveau de conscience, mais cela ne signifie pas que les grandeurs de moindre étendue n’aient pas de manifestation.

10L’item suivant à l’ordre du jour marque un retour à l’exemple de ego veniam. Pour le grec et le latin, trois degrés de l’emphase sont établis :

Gr. ego-ge ego 0
Lat. egomet ego 0

11[Hjelmslev] attire l’attention sur le fait que 0 est une expression de signe et non un taxème de l’expression.

12[Diderichsen] revient au problème de la catalyse, en demandant s’il faut catalyser le mot danois dag (abréviation colloquiale de salutation) dans goddag (good day), et ce dernier à son tour dans jeg ønsker dig goddag (I wish you good day). Il tient à signaler que l’accent simple (goddág) est l’expression d’un affaiblissement du contenu significatif de god, comme c’est le cas de rǿdvin (red wine) par rapport à rǿd vín (wine that is red). On peut légitimement douter du fait que god soit pourvu d’un contenu quelconque. Il demande s’il serait également possible d’appliquer la catalyse à des interjections comme Lykkelige menneske ! (Happy man !).

13[Hjelmslev] répond qu’il faut bien faire la distinction entre deux aspects : la catalyse proprement dite, qui ne s’applique qu’à des co|hésions, et ce qui en résulte, qui est un syncrétisme irrésoluble. On peut catalyser un impératif dans le cas de Lykkelige menneske – ce qui est un bien, car sinon le cas deviendrait une caractéristique extense. Pourtant, on ne peut interpoler un mot défini qu’à condition d’en connaître le contexte. Cela vaut pour les cas de goddag et de jeg ønsker dig goddag (voir les exemples de Diderichsen ci-dessus) : il ne s’agit pas ici d’une véritable catalyse, mais plutôt d’une interpolation ou d’une complétage effectué sur la base de notre connaissance de l’usage et de la situation. De plus, Hjelmslev est aussi de l’avis que god n’est qu’une complétage dans le plan de l’expression, étant donné qu’il n’a pas de contenu. Dag peut signifier « jour en tant qu’opposé à la nuit » ou bien une salutation ayant aussi l’expression goddag.

14Selon [Diderichsen], on se trouve ici face à une importante dif|férence structurelle entre les cohésions établies par catalyse et les cohésions établies sans catalyse.

15[Hjelmslev] affirme au contraire que cette différence n’est qu’un accident de l’usage : les cohésions doivent être établies sur la base d’une généralisation cohérente.

16[Diderichsen] se déclare d’accord sur ce dernier point, tout en soulignant qu’il est important pour la description de l’usage de spécifier les conditions dans lesquelles les entités peuvent être « laissées de côté ».

    Notes

  • 1 [Texte publié en anglais en (1970), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 8-31, pp. 158-161].

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 192-195

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Discussion sur l'emphase et la catalyse“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 192–195.