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Communication au Septième Congrès International des Linguistes

Louis Hjelmslev

pp. 210-213

Lines

« Dans quel sens et en quelle mesure la grammaire comparative présente-t-elle un intérêt pour la linguistique descriptive ? Est-ce qu’une méthode grammaticale plus exhaustive peut être développée dans le domaine de la linguistique comparative traditionnelle ? »1

1Ainsi formulées, ces deux questions sont très ambigües : il n’est pas possible d’y répondre de façon adéquate sans avoir préalablement défini clairement les termes utilisés. Les contributions reçues (par T. Bolelli, E. Buyssens, J. Ellis, M.A.K. Halliday et Eric P. Hamp) reflètent inévitablement ces ambigüités. On peut tout à fait affirmer qu’elles n’existeraient pas, ou tout au moins qu’elles seraient moins flagrantes, si la « linguistique comparative traditionnelle », explicitement évoquée dans ces questions, n’utilisait pas fallacieusement et de façon si déroutante le terme « grammaire comparative ». Cette formule n’a rien à voir avec la linguistique actuelle et peut être considérée à juste titre comme dépassée, a fortiori dans un Congrès International des Linguistes.

2(A) Si, avec le terme de « grammaire comparée », l’on entend une typologie morphologique et syntaxique (ou encore, pour faire plus court : morphémique) des langues, et si, par « grammaire descriptive », on entend la description morphémique d’un seul état de langue synchronique, il semble tout à fait évident que les deux doivent fonctionner de concert et se présupposer mutuellement. On peut dire la même chose à propos de la typologie phonémique et de la description phonémique (idiosynchronique), ainsi que pour les autres branches possibles de la linguistique. C’est notamment le cas pour l’analyse du contenu lexical et l’étude de la linguistique externe (les rapports entre langue et culture, etc.), qui peuvent tout à fait être rattachées à la dénomination « linguistique descriptive ». La réponse de E. Buyssens va dans ce sens, et je crois que tout linguiste souscrirait sans réserve à sa demande d’une méthode comparative pour la grammaire synchronique (comme d’ailleurs pour la linguistique en général, et toute science en général). La contribution très instructive de Ellis-Halliday abonde aussi dans ce sens, en emphatisant la distinction entre les deux points de vue (A) et (B).

3(B) Si – comme la dénomination « linguistique comparée traditionnelle » le suggère – on appréhende le terme de « grammaire comparée » dans le sens quelque peu obsolète de vergleichende Grammatik (terme qui définit l’étude génétique des familles linguistiques, plutôt que l’étude générale des types linguistiques), la question n’est qu’une redite d’un des points discutés lors du Sixième Congrès International des Linguistes, notamment en ce qui concerne les fonctions entre « synchronie » et « diachronie ». En effet, le débat à ce sujet n’est pas enterré. Toutefois, afin de trouver une solution ou au moins pour en éclairer le chemin, il serait utile de recourir aux contributions apportées lors du Congrès de Paris et des Congrès précédents, et plus généralement à l’état de la linguistique en tant que science, sans cependant remonter aux notions « traditionnelles », comme par exemple celles mentionnées respectivement par Brugmann ou encore (du moins en partie) par Saussure.

4Si l’on considère l’état présent de la linguistique en tant que science, il semble en effet naturel de considérer l’étude génétique comme un cas spécifique à l’intérieur de la classification linguistique et de distinguer deux sortes de classes linguistiques : les familles et les types. Une famille linguistique se définit par un réseau de fonctions (ou de correspondances régulières, comme le dirait Antoine Meillet) entre des variantes contextuelles des éléments de l’expres|sion d’une langue, et des variantes contextuelles d’éléments de l’ex|pression d’une autre langue (en utilisant ce terme de « langue » comme état de langue) ; les éléments de l’expression peuvent être des phonèmes (voir notamment la contribution de Hamp) ou bien des graphèmes (comme dans l’indoeuropéen ancien, dont Rasmus Rask a été le premier à étudier les relations et à développer la méthode comparative de description) ; dans la plupart des cas, il s’agit de graphèmes : cela n’a aucune importance du point de vue de la méthode. À l’opposé, un type linguistique est défini par les fonctions entre les catégories d’une langue et les catégories d’une autre langue. Dans les deux cas, on a affaire à des classes de langues, ou à des systèmes de systèmes, et on a forcément affaire à une comparaison. Cette comparaison est nécessairement une comparaison entre des états de langue(s) qui y entrent. Sa description doit par ailleurs se conformer à une méthode uniforme prescrite par la théorie du langage ; cette dernière doit à son tour s’appuyer sur l’observation et la comparaison, tout en s’affranchissant de la simple observation, par l’établissement d’un ensemble de définitions formelles et d’un calcul général. En appliquant cette méthode, la linguistique calque sa démarche sur celle de toute science.

5Puisque des langues (états de langue) qui appartiennent à une seule et même famille peuvent appartenir à des types différents, et que des langues qui appartiennent à un seul et même type peuvent appartenir à des familles différentes, les deux genres de classification sont mutuellement indépendants. Une langue-mère et une langue-fille (comme par exemple le latin et le français) appartiennent par définition à une seule et même famille ; leur fonction est une continuation (changement, évolution), qui est une sélection dont le pôle sélectionnant (présupposant, ou variable) est la langue-fille, et le pôle sélectionné (présupposé ou constante) est la langue-mère. Une continuation n’est donc en soi qu’une pure fonction à l’inté|rieur d’un système de systèmes ; elle est toutefois manifestée dans l’espace et dans le temps, comme tous les autres faits observables, et sa substance doit être décrite en termes d’espace et de temps. L’ob|jectif principal de la linguistique génétique générale doit donc être d’établir les lois générales qui prédisent et excluent les changements d’un type à un autre (voir en particulier la contribution de Bolelli).

    Notes

  • 1 [Texte publié en anglais en (1956) Proceedings of the Seventh International Congress of Linguists, London, Titus Wilson & Son, pp. 427-429].

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 210-213

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Communication au Septième Congrès International des Linguistes“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 210–213.