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1Une idée reçue oppose l’interprétation de type psychologique et l’approche formaliste, laquelle excluerait tout recours au processus de l’empathie. Selon cette idée, l’approche purement formelle privilégie seulement les relations entre les éléments de l’objet esthétique tandis que l’approche psychologique accentue la part du sujet, de ses sentiments et de ses projections émotives dans la perception de l’objet. Or, un examen attentif des positions formalistes fait apparaître des conceptualisations qui les rapprochent des théories de l’esthétique empathique d’alors.1

2Il s’agit ici de confronter certaines positions de l’esthétique psychologique fondée sur l’empathie aux concepts fondamentaux des courants formalistes germanique et russe pour en extraire les convergences théoriques principales. Le potentiel empathique du concept de forme, posé par l’approche formaliste, sera au centre de cette analyse.

3La controverse entre l’approche formelle et l’approche empathique est loin d’être une nouveauté. On peut citer comme exemple la polémique entre Robert Zimmermann (1824–1898) et Friedrich Theodor Vischer (1807–1887) qui a duré de 1854 à 1887, c’est-à-dire une trentaine d’années environ.2 La discussion a porté principalement sur le sens de la notion de « forme » dans l’art et dans l’esthétique. Elle a posé d’emblée les positions prototypiques de l’esthétique du contenu et de l’esthétique de la forme et a anticipé sur tout un champ problématique développé ultérieurement. Cette polémique, qui concerne la seconde génération de l’herbartisme et de l’hégélianisme, porte sur le programme de l’esthétique scientifique : on voit s’affronter deux programmes de recherche qui accentuent l’opposition entre effet matériel et effet formel, entre idée et forme de son incarnation. Il s’agit aussi de deux stratégies d’interprétation : une interprétation symbolique et une interprétation immanente et formelle.

4Ainsi, dans l’étude de Zimmermann « Hamlet et Vischer » (1861, publiée en 1870), on voit s’esquisser la possibilité d’une lecture purement formelle du personnage de Hamlet. Ce dernier est interprété « exclusivement du point de vue esthétique », c’est-à-dire en fonction de l’économie interne de l’œuvre » (Maigné 2017, 210). Voici le résumé surprenant des positions de Zimmermann à l’égard du héros de Shakespeare :

Si bien que ce qui caractérise Hamlet, comme toute œuvre littéraire, c’est une expérimentation […] L’individu poétique qu’est Hamlet n’a rien de commun avec un individu réel ou naturel […] Alors que l’individu reste un mystère, l’individu poétique est une somme finie de conditions, exactement comme une expérience de laboratoire extrait ses conditions de possibilité du réel sans jamais être la totalité de ce réel. […] C’est contre toutes les règles de l’analyse dramaturgique que de lire dans l’œuvre la pensée de son auteur, il n’y a rien à lire dans l’âme de Shakespeare. […] L’œuvre ne reflète pas son auteur, les personnages ont une vie propre, dont la cohérence est celle des rapports internes qui se dessinent entre eux. Le travail critique récuse la question de l’intention de l’auteur comme le caractère héroïque d’un personnage s’il est posé comme un mystère : il s’attelle à la saisie concrète de l’œuvre comme à un processus de construction. (Maigné 2017, 210-211)

5On croirait lire certains manifestes du formalisme russe des années 1910–1920. Il règne actuellement une certaine incertitude en ce qui concerne les apports réels de l’histoire de l’art et de l’esthétique psychologique (avant tout empathique) de cette période à la démarche formaliste. Nous chercherons à réexaminer l’hypothèse d’un lien génétique qui existerait entre, d’un côté, l’approche « formaliste » de l’objet linguistique et poétique et, de l’autre côté, l’approche « formaliste » de l’objet pictural. Il s’agira donc d’une part, d’élucider la nature de ces emprunts présumés des auteurs formalistes aux travaux des esthéticiens et des historiens de l’art germaniques, et d’autre part, d’évaluer l’applicabilité de ces principes à l’« objet verbal », conçu dans une perspective aussi bien littéraire que linguistique.

La fonction poétique et la « tonalité essentielle »

6Pour Lipps, le concept de rythme est étroitement lié à celui de « sentiment de la forme ». La réponse obtenue lors de l’analyse du « sentiment de la forme » peut être transposée sur les sentiments élémentaires. Ce tout qui réunit une multitude de parties ou d’éléments procure le sentiment de satisfaction à condition que le principe d’unité dans la diversité y soit réalisé. Seule l’unité dans la diversité peut procurer le sentiment de satisfaction. Cette dernière résulte du travail ou de l’activité qui s’accomplit dans ce tout perçu comme unité dans la diversité. Ce travail consiste en ce que la continuité réunissant l’ensemble des parties s’oppose au caractère hétérogène voire opposé de ces parties constituantes. Cette opposition se réalise de telle manière que ce tout peut se décomposer sur le mode aperceptif en une continuité autant entre les éléments de différence qu’entre ceux d’opposition.

7Selon Lipps, ces deux moments – continuité du tout et hétérogénéité de ses composantes – coexistent dans le psychisme de façon relativement indépendante l’un par rapport à l’autre. Ces éléments hétérogènes et opposés ont pour effet une différenciation de ce tout pris en lui-même, ou encore un développement et une transformation de ce tout. Ce substrat commun ou principal peut s’appeler tantôt « le rythme principal », tantôt « la loi architectonique », ou « la pensée principale », ou « la tonalité [Stimmung] essentielle ». La différenciation de ce substrat commun consiste en sa décomposition en des éléments opposés. L’équilibre entre le moment divergeant et le moment commun constitue la condition d’une intensité du sentiment de joie.

8L’effet de cet équilibre se manifeste comme suit : les éléments divergents, tout en possédant une valeur automne, se trouvent subordonnés à ce moment commun. Ce dernier devient de ce fait un élément dominant. L’architecture ou la musique fournissent de nombreux exemples de cette « différenciation du substrat commun ». C’est le cas de la distribution des éléments distincts du point de vue spatial dans la colonne antique ; c’est aussi le cas d’une mélodie où le seul et même rythme d’excitation psychique forme une dimension unificatrice pour les sonorités discordantes.

9Pour Lipps, il y a dans chaque mélodie un rythme fondamental qui la domine ; la tonique représente ce rythme de manière immédiate. Chaque sonorité porte en elle un rythme particulier. L’excitation ou le mouvement de l’âme qui se produit en nous quand nous entendons une sonorité isolée doit être comprise comme une excitation ou un mouvement rythmique. Lipps suppose que cette excitation est porteuse d’un rythme qui est analogue au rythme de la série régulière de vibrations physiques qui ont provoqué le rythme en question. Lorsque les sonorités sont consonantes, ces vibrations physiques sont apparentées rythmiquement. Cela signifie qu’elles ont un rythme fondamental commun et sont de simples variations de ce rythme fondamental. La consonance consiste en ce que le même rythme de l’excitation psychique se trouve différencié dans les sensations de diverses sonorités que nous appelons les consonantes (Lipps 1908, 355-356).

10A côté de deux types d’empathie déjà introduits dans sa psychologie – empathie aperceptive générale et empathie empirique – Lipps définit le troisième type de l’empathie dit « empathie des états d’âme » [Stimmungseinfühlung] (Lipps 1908, 360). Tout notre vécu [Erlebnis] a un caractère psychique particulier, un rythme particulier [einen bestimten Rythmus], c’est-à-dire, un mode particulier de son déroulement dans le psychisme [eine bestimmte Art seines Ablaufes in der Seele] (Lipps 1908, 360). Le vécu se manifeste par un mode excitatif particulier qu’il fait propager dans le psychisme. Ce rythme tend à se propager, à rythmiser l’ensemble du psychisme, à soumettre le psychisme tout entier à cette impulsion rythmique et à provoquer un état d’âme [seelische Stimmung] qui lui correspond. Le rythme structure le psychisme et entraîne un état d’âme particulier. Ainsi, Lipps essaie d’expliquer l’influence du rythme ainsi que la combinaison des éléments rythmiques à l’aide de sa notion d’empathie [Einfühlung] (Lipps 1908, 360-361).

11Selon Lipps, il en va de même pour toute sensation de couleur. Pour le psychisme individuel, une couleur devient le centre d’un état d’âme [Stimmung]. « Cet état d’âme [Stimmung] est le mien mais il fonde sur une couleur » (Lipps 1908, 360). Cet état d’âme est provoqué par une couleur et il semble lui appartenir. Ce fait explique que les couleurs ne sont pas pour le « moi » de simples couleurs données objectivement, comme le jaune, le rouge, etc., mais aussi quelque chose de sérieux ou de joyeux, de calme ou de vif, de chaud ou de froid ; bref, les couleurs possèdent des prédicats personnels [eine Persönlichkeit]. La sonorité [Ton] se trouve animée sur le mode analogue, elle reçoit un contenu propre à un état d’âme précis [Stimmungsgehalt] (Lipps 1908, 360).

12Cette empathie par états d’âme [Stimmungseinfühlung] se manifeste surtout dans la musique. Les éléments de la musique (tels que la hauteur de la sonorité, ses nuances et ses forces, la consonance et la dissonance, les transitions, le tempo, les nuances dynamiques, le rythme) trouvent diverses résonances qui correspondent aux états d’âme [Stimmungsresonanz], ils provoquent « un rythme de l’excitation psychique générale » [eine Rythmik der gesamten inneren Erregung] (Lipps 1908, 361). Cette excitation provoque également les impulsions motrices, ce qui entraîne des mouvements corporels. Ce fait explique le lien entre la mimique et la danse ainsi que celui entre la musique et la mimique. Tout le potentiel expressif de la musique réside dans l’engendrement de cette résonance propre à un état d’âme [Stimmungsresonanz] (Lipps 1908, 361).

13Ces considérations psychologisantes nous rappellent que l’étude du rythme (dans la mesure où il s’oppose au mètre « abstrait ») fut l’objet d’engouement du premier formalisme à travers ses études dans le domaine du langage poétique. L‘opposition formaliste entre le « mètre » et le « rythme », qui découle de l’ensemble des études considérées comme purement « formelles », se fonde de fait sur certaines analyses des formes rythmiques.

14La définition de la fonction poétique de Jakobson, définition considérée comme « formelle », se fonde sur l’analyse du fonctionnement des formes rythmiques3 et se trouve à l’origine de la notion jakobsonienne de « fonction » dans le célèbre schéma de communication élaboré vers la fin des années 1950. Ceci nous rappelle que l’étude du rythme (dans la mesure où il s’oppose au mètre « abstrait ») fut l’objet d’engouement du premier formalisme (et des études qu’il développa dans le domaine du langage poétique). La fonction poétique de Jakobson (comprise comme une projection « du principe d’équivalence de l’axe de la sélection sur l’axe de la combinaison » (Jakobson 1963, 118) semble reprendre le même schéma que celui défini par Lipps, dans la perspective psychologique qui est la sienne, à travers les deux principes rythmiques situés à la base de l’empathie [Einfühlung] :

  • le principe du retour du même [das Prinzip der Wiederkehr des Gleichen] ;
  • le principe de la différentiation immanente [das Prinzip der immanenten Differenzierung] (Lipps 1908, 352).

15La « fonction poétique » de Jakobson (semble reprendre le même principe que Lipps définit, dans la perspective psychologique qui est la sienne, comme les deux principes rythmiques situés à la base de l’empathie.

16Transposé sur le plan rythmique, le mécanisme empathique reconduit directement au domaine des mouvements expressifs, et plus largement, aux dispositifs mimétiques sous-jacents du langage. Nous ne cherchons pas dans ce qui précède à prouver que Jakobson – lors de la création de son modèle de communication – aurait lu Lipps ou Wundt. Il s’agit d’affirmer la prégnance du modèle psychologique dans les sciences humaines de la première moitié du XXe siècle. Cette part de la psychologie dans la construction conceptuelle des sciences humaines fut telle que, se penchant sur la spécificité de l’objet esthétique, Jakobson est amené à le penser dans le cadre préétabli fourni par la psychologie.

17Ainsi, le terme de « visée » [Einstellung] des formalistes russes hésite entre l’interprétation socio-psychologique (où il s’approche de la notion d’« évaluation » ou d’« appréciation » élaborée au sein du cercle de M. Bakhtine : V. Volochinov, P. Medvedev) et l’interprétation psychosomatique et motrice (où il désigne la disposition psychique ou neurophysiologique de l’organisme d’agir dans tel ou tel sens, ou encore une réaction flexible de l’appareil moteur d’accomplir un mouvement précis). Ainsi, la « visée », ce type de réglage interne conceptualisé par le formalisme, se trouve lié au rythme, l’objet de départ des recherches formalistes dans le domaine de la langue poétique. L’« analyse objective » des formes rythmiques prônée par les formalistes est un essai de redéfinition du mécanisme empathique conçu par l’esthétique de Lipps comme la base de l’effet esthétique. Il s’agit de redéfinir sur une base quantifiable les deux principes « qualitatifs » de l’esthétique empathique cités plus haut. Dans le mécanisme empathique posé par Lipps ces deux principes relèvent « comme tout principe rythmique des lois physiologiques et mécaniques de l’émergence des impressions rythmiques » (Lipps 1908, 360-366).

La dimension visuelle de l’empathie

18Parmi les « six principes de la beauté » formulés dans le projet esthétique de Gustav Fechner (1801–1887), on trouve le « principe esthétique d’association » [aesthetische Associationsprin|cip] (Allesch 1988, 308). Celui-ci est posé à partir de l’opposition fondamentale entre deux types de facteurs définis comme facteurs directs et facteurs indirects (ou associatifs). Fechner essaie d’établir comment agissent les répartitions formelles élémentaires extraites de toute interaction associative. Fechner affirme le primat du facteur indirect ou associatif ; pour lui, le facteur indirect (associatif) est essentiel (surtout, dans le domaine de l’optique), il constitue le mécanisme même qui sert à concevoir les phénomènes. En revanche, les réactions instinctives sont des réactions esthétiques de base, apparentées aux facteurs directs ; par exemple, le plaisir spontanément procuré par la symétrie est interprété par Fechner comme une tendance instinctive (Lipps 1908, 308-309).

19Robert Vischer (1847–1933) accentue particulièrement la dimension visuelle (optique) du phénomène d’empathie [Einfühlung]. Le « vécu » des états mentaux projetés dans les objets externes se forme simultanément avec la perception visuelle de ces objets. Cette relation entre la perception visuelle et l’empathie serait spontanée et immédiate. Le mécanisme de l’Einfühlung est donc perçu comme tributaire des perceptions visuelles (cf. Vischer 1873, 5-11; 12-17). Le contenu du processus d’empathie se compose, selon Vischer, des sensations motrices et des sensations des organes (Vischer 1873, 14-17). Vischer propose une typologie assez élaborée qui comporte une variété de formes de Einfühlung, à savoir : Anfühlung – le fait de projeter nos sentiments sur l’objet qui a pour résultat de le « colorer » avec notre « tonalité émotionnelle » ; Nachfühlung – on procède à la projection empathique après avoir perçu l’objet ; Zufühlung – le fait d’attribuer nos états subjectifs aux objets, ou encore, de les transférer à eux (Vischer 1873, 25-25)).

20Johannes Volkelt (1848–1930) établit lui aussi des relations étroites entre, d’un côté, l’Einfühlung et, de l’autre, la « sensation des organes » ; en particulier les sensations du mouvement (Volkelt 1905, 223). Cet auteur accentue surtout le caractère immédiat [Unmittelbarkeit] ou direct de l’empathie.4 Volkelt distingue deux modalités de l’Einfühlung : optique et auditive, c’est-à-dire l’Einfühlung médiatisée par le corps (Volkelt 1905, 260).5 Ainsi, tout acte de percevoir [wahrnehmen] un être humain, que ce soit à l’état de repos ou à l’état de mouvement, se traduirait pour nous immédiatement comme « une expression de ses états internes ».6 Le phénomène d’Einfühlung est lié aux mouvements dans la mesure où les sensations du mouvement [Bewegungsempfindungen]  activent le dispositif de reproduction (Volkelt 1905, 225). L’Einfühlung de type esthétique se distingue de ces expériences empathiques quotidiennes par le fait qu’elle est une intensification particulière de ces dernières. A la différence de l’Einfühlung esthétique, l’Einfühlung propre à la vie quotidienne est imparfaite et confuse, elle est sujette à divers obstacles. L’Einfühlung esthétique est beaucoup moins soumise à l’inhibition.7

21Theodor Lipps, quant à lui, cherche à démontrer le mécanisme de l’empathie sur l’exemple des figures géométriques simples, en particulier sur les éléments de l’architecture : par exemple, sur la colonne et ses parties, sur les intervalles musicales et rythmiques, sur des tacts simples et des strophes de vers. En observant ces figures géométriques simples, nous y voyons non seulement des figures composées de lignes mortes, mais également un jeu ou un système de forces qui attribuent à ces lignes une vie interne inhérente (Lipps 1873, 6-7). Ainsi, nous percevons une tension dans une ligne courbée, ses deux extrémités nous faisant apercevoir des forces qui la tendent dans une direction particulière (par exemple, vers le bas). En revanche, la ligne droite s’oppose à cette tendance, elle empêche la ligne courbée de se redresser (Lipps 1873, 23; 29-30).

22Ainsi, nous attribuons mentalement à cette figure un système de forces élastiques. Cette attribution de forces à une configuration géométrique dépend de notre manière de voir « directement » ces forces dans cette figure. L’impression esthétique provoquée par cette figure se fonde sur cette vision immédiate ou directe de la « vie intérieure » propres aux éléments de la forme. L’impression esthétique se fonde par conséquent sur la différence des empathies : par exemple, la différence entre la force verticale qui agit de l’intérieur de la figure et la force horizontale qui est concentrée sur sa base (Lipps 1873, 8-10). Le visuel reste donc la dimension dominante dans la mesure où c’est la « vie intérieure » immédiatement perceptible dans certaines configurations qui détermine notre perception esthétique de ces figures (cf. aussi Lipps 1897).

De la visibilité à la poéticité

23L’esthétique et la psychologie de Johannes Herbart (1776–1841) est la source principale des théories « visibilistes » insistant sur la définition relationnelle de la forme esthétique comprise comme cohérence de rapports formels. Cette définition implique en outre une exigence claire à concentrer l’attention sur les éléments formels propres à chacun des arts, donc sur les éléments visuels dans le cas des arts figuratifs (Maigné 2007; Maigné & Trautmann-Waller 2009; Maigné 2012).

24Chez R. Zimmermann, le formalisme de Herbart donne lieu à un projet d’« esthétique générale comme science de la forme » (1865), où cette dernière est comprise comme « rapport d’éléments ». L’objet esthétique se définit en fonction des qualités et des modes de ces rapports, ce qui implique sa « spécificité » et son « autonomie ». C’est ainsi une différenciation des formes d'art en vue d’une esthétique sensorielle fondée sur la non-compatibilité des organes de sens : « un art tactile (comprenant tous les arts plastiques, comme la sculpture et architecture) ; un art optique (peinture) ; un art acoustique (tous les arts de la parole, comme la poésie, et du son, comme la musique) » (cf. Salvini 1988, 12; Maigné 2017).

25A partir de cette suggestion, les théoriciens ultérieurs radicalisent dans leurs constructions cette spécificité sensorielle des arts individuels : le « Beau musical » de Hanslik, l’« activité palpatrice de l’œil » chez Hildebrand, la distinction entre tactile et optique chez Riegl, la « productivité de l’œil » chez Fiedler. Dans cette approche, la forme artistique serait entièrement tributaire de l’organe des sens réceptif à son égard.

26Par rapport au formalisme russe, de prime abord, l’approche « visibiliste » visant à isoler la « série visible » parmi d’autres « séries » constitutives de la « réalité », semblerait creuser un écart entre les deux projets formalistes – celui du formalisme germanique et celui du formalisme russe. En effet, le formalisme russe est traditionnellement associé à l’« objet verbal » ou littéraire, tout au plus à l’« objet sonore », donc à la « série acoustique », bien dans l’esprit de la « philologie de l’écoute ».

27La perspective « picturale » adaptée par Walzel n’exclut pas pour autant l’aspect acoustique. En effet, O. Walzel adhère dès le début avec enthousiasme à la « philologie auditive » d’Eduard Sievers et aux typologies psychophysiques de l’expression élaborées dans ce domaine. La typologie originaire de Joseph Rutz (1834–1895) et d’Ottmar Rutz (1881–1952) se fonde sur l’expérience de tout « artiste reproductif » [nachschaffender Künstler] tels que le déclamateur ou le chanteur. Les artistes de ce type ressentiraient dans leurs interprétations personnelles des œuvres une sorte de résidu qu’ils rendraient de façon inexacte ou fausse. Cette typologie se fonde sur une attitude corporelle, en premier lieu sur les contractions continues des groupes de muscles de l’abdomen qui changent habituellement la sonorité de la voix. La typologie de Rutz a été reprise et particulièrement développée dans deux domaines : dans les études germaniques où elle a fondé la philologie de l’écoute [Ohrenphilologie] d’Eduard Sievers et de Franz Saran, et dans la musicologie de Gustav Becking (1894–1945). Cette typologie de l’expression a inspiré aussi les théoriciens de la pédagogie et de la didactique qui rattachent ces typologies à différentes « visions du monde » : Wilhelm Dilthey (1833–1911), Eduard Spranger (1882–1963), Herman Nohl (1879–1960), Richard Müller-Freienfels (1882–1949) et Erich Drach (1885–1935) (Walzel 1997, 96 – 97). Par conséquent, Walzel participe directement à l’« effet Sievers »,8 effet qui s’est avéré très prégnant et qui a exercé une grande influence sur le développement du courant formaliste aussi bien en Allemagne qu’en Russie, comme si les théoriciens d’inspiration formaliste s’étaient reconnus dans les positions de l’« analyse du son » [Schallanalyse] qui se voulait délibérément « une nouvelle science » expérimentale du langage. Ainsi, la « visibilité » (K. Fiedler) du formalisme esthétique germanique anticipe sur les concepts de « littérarité » et de « poéticité » du formalisme russe : ces deux dernières notions dessinent la perspective définissable comme la « visibilité » des relations. Cette juxtaposition- « visibilité » vs « littérarité » - rappelle la part de l’« objet pictural » (thématisé dans l’histoire de l’art) dans la conceptualisation de l’« objet verbal » entreprise par les formalistes russes.9 La tendance à visualiser le langage explique l’intérêt des formalistes pour les théories issues de l’histoire de l’art.

L’« objet pictural » et l’ « objet verbal » : formalistes et historiens de l’art

28L’explication de la genèse du formalisme en poétique par des emprunts conceptuels aux travaux des historiens allemands de l’art (en particulier, H. Wölfflin et W. Worringer) remonte à la démarche « formaliste » d’Oskar Walzel (1864–1944), littéraire et poéticien à l’Université de Bonn, qui cherche effectivement à appliquer à l’analyse du texte littéraire les principes élaborés au sein de l’histoire de l’art [Kunstgeschichte] (Walzel 1923. Toutefois, Alois Riehl semble être le premier à avoir appliqué le modèle spatial, celui d’A. von Hildebrand, à la forme du texte poétique : Riehl 1897, 283-306).

29Dans son étude de la genèse du formalisme, V. Erlich, en examinant le contexte allemand, lie la croissance de l’intérêt pour l’analyse formelle à l’existence d’une discipline académique voisine qu’est l’histoire de l’art. Selon Erlich, c’est l’histoire de l’art qui serait à l’origine d’une nouvelle orientation de la science de la littérature. Erlich mentionne parmi les premiers formalistes allemands le musicologue Hanslick et les historiens de l’art tels que A. Hildebrand, W. Worringer et H. Wölfflin. Erlich consacre tout un passage à l’apport de Wölfflin où il cite son fameux principe de l’« histoire de l’art sans noms » (Erlich 1996, 59). Oskar Walzel lui aussi, a droit à un passage qui lui est consacré. Selon Erlich, Walzel – qu’il qualifie d’« essentiel représentant de l’école pseudo-formaliste dans les études littéraires allemandes » (Erlich 1996, 59) – aurait subi une forte influence des « historiens de l’art ». Le travail de Walzel est défini comme une application à l’analyse littéraire des catégories stylistiques empruntées à Wölfflin (Erlich 1996, 59). Erlich fait remarquer que la situation russe a été tout à fait différente et que les pionniers des études formelles ont dû chercher leurs propres voies. Ces études sont selon lui restées limitées à l’objet verbal et aux procédés du langage poétique (Erlich 1996, 59-60).

30En 1968, K. Pomorska ajoute à la liste des précurseurs allemands du formalisme russe Wilhelm Dibelius qui aurait appliqué la démarche de Wölfflin à l’étude de la littérature (Pomorska 1968, 20).

31On retrouve dans l’étude de Hansen-Löve (1978) les théoriciens germaniques de la peinture et des arts plastiques (Hansen-Löve 2001; Voir sur Fiedler : Hansen-Löve 2001, 70; 176; 182; 255; sur Hildebrand: Hansen-Löve 2001, 70; 182; 255; sur Riegl : Hansen-Löve 2001, 255 ; sur Wollflin : Hansen-Löve 2001, 70; 182; 255; 286; 361, sur Worringer: Hansen-Löve 2001, 70; 71; 76; 80) qui sont mentionnés dans le chapitre « Le formalisme et la peinture de l’avant-garde des années 1910 », dans le contexte d’une vaste discussion comparée portant sur les principes de l’abstraction et de la peinture avant-gardiste du tournant des XIXe et XXe siècles.

32La position de C. Schulz (1997) consiste à dire que le fond commun des deux formalismes, le fond qui autorise le travail de comparaison, consiste en ce qu’au début ces deux courants s’orientent vers de nouvelles tendances au sein de l’histoire de l’art de leur temps. C’est de ce domaine qu’on voit venir, au tournant des siècles, de nouvelles impulsions pour la « nouvelle vision » et pour une interaction avec l’art verbal (Schulz 1997, 236). Par la suite, Schulz souligne un changement de tendance : en Allemagne, les littéraires, en empruntant les concepts aux historiens de l’art, cherchent à fonder la science de la littérature comme une science de l’art. En Russie, en revanche, les littéraires d’inspiration formaliste s’orientent vers l’œuvre d’art verbale perçue comme une forme verbale et fondent une nouvelle science autonome, celle dont l’« objet spécifique » est la littérarité (Schulz 1997, 236).

33Néanmoins, il existe bel et bien un lien génétique entre l’approche « formaliste » de l’objet textuel et l’approche « formaliste » de l’objet pictural. Ce lien est à rechercher du côté du concept de « forme essentielle » [Grundfrom). En effet, les formalistes russes transposent dans le domaine des sciences du langage et de la littérature le concept de « forme essentielle » élaboré par les historiens de l’art pour l’histoire de l’art et l’esthétique. C’est la notion de « forme essentielle » [Grundform], introduite par Giovanni Morelli (Morelli 1880). Voir aussi : Morelli 1890 ; Morelli 1893 ; Morelli 1897) et par Heinrich Wölfflin (Wölfflin, 1983), qui dissocierait définitivement l’analyse formaliste et l’analyse stylistique traditionnelle. Cette notion désigne un type de phénomènes stylistiques qui n’a pas été configuré par l’agent de manière intentionnelle, des phénomènes dont l’origine se situerait au-delà de la conscience de l’auteur (de l’inventeur ou de l’artiste). Ainsi, tout formalisme aurait à faire avec les « configurations sensibles » de l’œuvre d’art dépendantes des « formes essentielles » [Grundfor|men] et traductible par le terme de « formalité ».10

34Mais quel serait l’équivalent de ces formes essentielles dans les études du langage et de la littérature ? Il semble que la tendance formaliste tardive dans les sciences du langage, représentée en particulier par R. Jakobson, a assimilé les « formes essentielles » avec le phénomène décrit sous le nom de « symbolisme phonique ». Ainsi, pour Jakobson et Waugh, la description du niveau phono-symbolique passe par « l’autonomisation des unités formelles minimales » (Jakobson & Waugh 1980, 217). Ces auteurs définissent l’objet phono-symbolique comme « la signification autonome, immédiate des constituants de la forme phonétique du langage » (Jakobson & Waugh 1980, 217-218).

35Cette comparaison des « formes essentielles » avec les éléments phono-symboliques peut paraître choquante. Elle l’est beaucoup moins si l’on considère que ces éléments sont habituellement décrits dans leur relation à la synesthésie définie comme « interconnexion phénoménale des sens » (Jakobson & Waugh 1980, 230; voir aussi 230-244).11 Ainsi, la comparaison des « formes essentielles » avec les propriétés synesthétiques acquiert tout son sens. Les « formes essentielles » seraient dans ce cas des relations fondamentales universelles, telles que des contrastes comme clair – sombre, léger – lourd ou petit – grand. Pour Jakobson, ces contrastes appartiennent aux « structures élémentaires requises pour la différentiation perceptuelle » (Jakobson & Waugh 1980, 230). Par conséquent, « il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils [ces contrastes] entretiennent des liens universels et constants (ou quasi-constant) avec des traits élémentaires sous-jacents aux langues humaines » (Jakobson & Waugh 1980, 230).12

36Enfin, c’est la conception de l’objet visuel dans le formalisme russe (formulée dans les essais formalistes sur la « poétique du cinéma » 1925) qui réaffirme l’affinité de ces deux programmes de travail. L’intérêt particulier des contributions formalistes réside en ce qu’elles appliquent à l’objet visuel (le film) leurs concepts élaborés originairement pour le texte littéraire.

37En effet, l’approche de l’objet visuel (le film) par Boris Eichenbaum laisse découvrir la dichotomie formaliste classique. Pour Eichenbaum, la relation entre la photographie et le cinéma est la même que celle entre la langue pratique et la langue poétique. La langue pratique et la photographie sont statiques, elles ne possèdent donc pas de « propriétés de style » (Eichenbaum, 2001, 14). C’est la dynamisation de la « langue pratique » par la « langue poétique », ou encore, d’une « photographie » par le flux du film qui les transforment en des phénomènes stylistiques (Eichenbaum, 2001, 14). L’image dynamique mouvante de même que la langue poétique, saisie dans sa progression, révèlent la même tendance à une autonomie de type « transrationnel », qui, selon Eichenbaum, est constitutive de la « base biologique » de tout art et forme son « ferment organique » (Eichenbaum, 2001, 15). Tynianov lui aussi souligne la dimension dynamique qui réunit le film et le vers : « le caractère de saut [skačkovyj charakter] du cinéma, le rôle qu’y joue l’unité du plan, la transformation sémantique des objets du quotidien (du mot dans le vers et de la chose dans le cinéma) – apparentent le cinéma et le vers » (Tynianov 2001, 53).

38C’est cette dimension « poétique » et « transrationnelle » de l’image qui reçoit dans le formalisme occidental le terme de « visibilité ». Cette dernière est comprise comme la dimension résistante et opaque, elle illustre l’idée selon laquelle « la contemplation de l’image peut valoriser l’infrastructure de la surface au point de répondre à une esthétique » (Wiesing 1997, 164). Ces marges opaques de l’image ont permis de poser « la surface de l’image comme un objet esthétique » (Wiesing 1997, 164). La même intuition conduit les formalistes russes, au moins dans leurs débuts, à postuler l’autonomie de la dimension sonore du texte, à la poser comme un « objet autonome ».

39Le programme formaliste assimile la forme au contenu ou plutôt à l’expression. Pour K. Fiedler, « la valeur artistique essentielle de la forme consiste dans la connaissance qu’elle transmet et qu’elle exprime. Le contenu artistique véritable de l’œuvre d’art réside dans la forme » (Wiesing 1997, 165). L. Wiesing qualifie de « typiquement néo-kantien » cette idée qui consiste à considérer la forme comme le contenu proprement dit (Wiesing 1997, 165). En effet, pour Fiedler, « le contenu de l’œuvre n’est rien d’autre que cette mise en forme elle-même » (Wiesing 1997, 165). Selon Wiesing, avec les « principes fondamentaux », les positions des historiens de l’art convergent dans une compréhension symbolique de la forme (Wiesing 1997,165). Les concepts fondamentaux [Grundbegriffe] de l’histoire de l’art suivent « une unification systématique du sens et de la forme » (Wiesing 1997, 166). Ou, comme le dit encore Wiesing, « l’esthétique formelle ne s’oppose pas à une compréhension sémiotique de l’image » (Wiesing 1997, 166).

40C’est dans ce contexte que Wiesing établit (déjà en 1997) une corrélation entre le formalisme allemand et le formalisme russe (en se référant à B. Eichenbaum, V. Chklovski, J. Tynianov). Wiesing a en particulier recours aux développements d’Eichenbaum dans « La théorie de la méthode formelle » (1925), où la démarche formaliste est posée comme une analyse de la « forme comprise comme fond en elle-même » (Wiesing 1997, 166). En effet, Eichenbaum oppose sa forme-fond à tout dualisme (forme-symbole) des théories symbolistes dans lesquels « quelque chose de fond transparaît nécessairement à travers la forme » (Wiesing 1997, 166).

41Résumons la relation génétique entre le concept de « langue transmentale » [Zaum’] et de « visibilité pure » [Sichtbarkeit]. La notion de « langue transmentale » ou encore de « poésie transmentale » constitue l’un des apports connus du formalisme russe. Forgé initialement par les poètes futuristes russes pour désigner la poésie lettriste a-sémantique, ce concept a suggéré au formalisme ses distinctions méthodologiques entre la langue poétique et la langue de communication (le célèbre schéma de communication proposé par Jakobson dans les années 1950 représente la dernière modification de ce principe). Dans le formalisme esthétique germanique, une idée analogue, relative à la « construction du regard » au cours de l’activité de l’artiste, est élaborée par les théoriciens du cercle de Hans von Marée (K. Fiedler, Adolf von Hildebrand).

42On peut constater un parallélisme méthodologique entre l’opposition verbale « langue de communication » / « langue poétique (transmentale) » et l’opposition optique « le regard pratique quotidien » / « le regard construit par l’artiste au moyen de sa production picturale ». En effet, pour les théoriciens allemands de la forme, le travail de l’artiste consiste à établir les conditions de l’activité de l’œil ; de fait, l’artiste construit les conditions de cette activité.13 Les théoriciens allemands de la forme insistent sur l’opposition entre le regard quotidien (compris comme un ensemble de conventions inconscientes constitutives du regard) et le regard construit en fonction des indices disposés par l’artiste. D’une part, on a affaire au regard qui obéit aux principes formulés par Hermann Helmholtz pour la vision, regard qui procède par application des schémas et des formules traditionnelles ou encore « par des conclusions ou raisonnements inconscients » (au sens de Helmholtz (Helmholz 1896, 581; Helmholz 1998, 162). De l’autre, on a un regard qui comporte une « nouvelle vision » ou une nouvelle expérience du monde, regard assimilé à une nouvelle pensée non-conventionnelle.

43Pour K. Fiedler, le travail de l’artiste consiste à changer les modalités de l’« intuition sensible » [Anschauung] avec toutes les implications sensorielles que comporte ce terme pour les théorisations de cette époque. Dans les deux cas – aussi bien pour le formalisme russe que pour le formalisme germanique - il s’agit d’élaborer une « intuition sensible » d’un type nouveau. Dans ce sens, la conceptualisation du travail du regard faite par les théoriciens allemands pour l’art pictural se rapproche considérablement du travail avec le mot, avec l’objet verbal, effectué par les théoriciens formalistes en Russie. Dans ces deux projets formalistes l’objet pictural est soumis au même type d’élaboration que l’objet verbal.

Empathie, sentiment corporel, mouvement expressif

44L’esthétique de l’empathie considère les « mouvements expressifs » comme des corrélations entre les formes élémentaires (excitations esthétiques) et les sentiments élémentaires (réactions à ces excitations). Dans cette optique, le fait de contempler diverses formes provoque chez les spectateurs le sentiment des mouvements potentiels impliqués par ces formes. Ce sentiment dynamique conduit au fait que l’observateur se met à exécuter des mouvements instinctifs internes, parfois aussi externes, qui sont de nature imitative. Dans l’esthétique empathique, le terme polymorphe d'«empathie » [Einfühlung] peut désigner, entre autres, ce processus d’imitation interne (Cité dans : Moos 1919, 172-173).

45Cette imitation interne déclenchée par le processus empathique peut revêtir la forme de « mouvements expressifs » qui contribuent à la mise en forme des œuvres d’art et à l’achèvement constructif de la représentation ou de l’image mentale.14 Elle peut aussi se définir comme « sentiment corporel », comme le fait H. Wölfflin (1864–1945) dans sa thèse de doctorat de 1886. Pour cet auteur, les formes artistiques et, en particulier, les formes architecturales, sont des projections du sentiment corporel. C’est l’organisation corporelle du spectateur qui apparaît pour Wölfflin comme une sorte de protoforme qui définirait la perception de tout corps (Wölfflin 1886, 3-4; 13). Ainsi, les éléments formels externes se révèlent tributaires de l‘expérience interne immédiate de l‘observateur.

46Il est révélateur que Wölfflin, de même que Lipps, a recours à l’image des éléments architecturaux (comme la colonne, etc.) pour illustrer cette réaction émotive à l’égard des formes externes qui est autant un résumé de l’expérience et un transfert vers le support externe des sentiments et des vécus subjectifs. Aussi bien Wölfflin que Lipps interprètent les qualités expressives des formes architectoniques comme une projection des sensations musculaires de l’observateur sur l’objet observé. L’expressivité au sens de ces auteurs acquiert par conséquent un corrélat musculaire. L’expérience esthétique définie par ces auteurs se fonde sur les qualités dynamiques qui font partie de l’expérience de la perception. La participation spontanée et intuitive au jeu des forces visuelles, ou encore la mise en résonnance immédiate avec des forces ainsi visualisées, est caractéristique de toute perception ; néanmoins c’est dans l’expérience de l’esthétique expressive que cette résonnance se met à jouer le rôle principal.

47Dans ce contexte, la citation suivante acquiert la valeur d’une déclaration de principe : « Sortez dans la rue, regardez les maisons et demandez-vous comment y sont utilisées les vieilles formes de l'art. Vous verrez alors des choses littéralement cauchemardesques. Par exemple (maison sur la Perspective Nevski, en face de la rue Koniouchennaïa, édifice de l'arch. Lialevitch), des arcs semi-circulaires qui reposent sur des piliers, entre leurs bases sont insérés des linteaux bossés dans la pierre brute en forme d'arcs aplatis. La poussée de l'ensemble des formes s'exerce sur les côtés, sans aucun contre-appui sur les flancs de sorte qu'on a tout à fait l'impression que la maison est en train de s'écrouler et va tomber en poussière. Cette ineptie architecturale (que ni le grand public ni la critique ne remarquent) ne peut être, dans le cas présent (et les cas de ce genre sont nombreux), expliquée par l'ignorance ou la nullité de l'architecte. De toute évidence la forme de l'arc (de même que la forme de la colonne, ce qu'on pourrait prouver) n'est pas ressentie, c'est pourquoi elle est aussi incongrue que le qualificatif « de suif » appliqué à une bougie de cire. […] Nous observons dans ce cas une citation pour ainsi dire pétrifiée, de même valeur que l'épithète pétrifiée : l'absence du vécu (dans l'exemple que je viens de donner, c'est toute la nouvelle qui a été pétrifiée) » (Chklovski 1985, 69-70).

48Ces lignes semblent provenir de la plume de Th. Lipps ; néanmoins, l’auteur s’appelle Victor Chklovski. Ainsi, les auteurs formalistes restent très sensibles à ce jeu de force dans les formes et à l’interaction entre les formes externes et la « vie intérieure » du spectateur. C’est cette interaction qui fonde la poétique dynamique du formalisme russe.

La « dominante », un principe empathique dans le formalisme

49Selon l’observation de Jakobson de 1935, le principe de dominante est le principe le plus important dans la poétique formaliste russe (Jakobson 1977, 77-85). En effet, divers auteurs formalistes (Eichenbaum, Tynianov, Tomachevski) utilisent ce concept dans leurs travaux des années 1920. Dans le formalisme, ce concept conduit à interpréter l’œuvre littéraire comme un système plutôt qu’une simple somme de ses composants.15

50En effet, chez Christiansen le phénomène de « dominante » se trouve toujours lié à l’effet de l’empathie, il est directement lié à l’« état d’âme » [Stimmung]. Ce concept reflète le projet de Christiansen de « comprendre génétiquement le lien entre les qualités sensibles et les impressions empathiques » (Christiansen 1909, 234). C’est à l’aide de la dominante que Christiansen espère faire des « impressions empathiques » un objet de recherche. Selon Christiansen, la dominante fait partie des « facteurs empathiques [Stimmungsfaktoren] d’un objet esthétique » (Christiansen 1909, 241).

51Christiansen écrit : « Il arrivera rarement que ces facteurs empathiques d’un objet esthétique participent à l’effet général à part égale; bien au contraire, il est naturel qu’un facteur particulier ou que la conjonction de plusieurs facteurs se glisse au premier plan et prenne la direction. Les autres facteurs accompagnent la dominante, la renforce par des harmoniques, la soulignent par contraste, l’ornementent par des variations » (Christiansen 1909, 241-242).

52La dominante fonctionne exactement comme un mécanisme d’empathie : elle est assimilée au processus de sentiment en tant que moyen d’accéder au sens de l’œuvre. Ainsi, selon Christiansen, « pour bien comprendre l’œuvre d’art, il est nécessaire de sentir et de dégager [herauszufühlen, littéralement : l’extraire d’un tout par la force du sentiment] et de se laisser porter par elle ; c’est elle qui en dernier ressort confère à tous les autres éléments et à la totalité leur signification ultime » (Christiansen 1909, 242). Ou encore : « il ne suffit donc pas d’exercer la capacité générale à associer des éléments de sorte qu’ils produisent de nouvelles ambiances [Stimmungen] : il faut sentir et dégager ceux des nombreux éléments d’une œuvre qui d’emblée et directement sont intimement associés » (Christiansen 1909, 246).

53D’où la définition du nouveau dans l’art selon Christiansen : « une forme de nouveauté consiste dans la possibilité de faire apparaître une dominante inhabituelle » (Christiansen 1909, 242). En effet, les régularités de la création artistique d’une époque créent l’attente d’une certaine sorte de dominante qui produit une incompréhension devant l’apparition d’une nouveauté (Christiansen 1909, 242). Ainsi, la dominante fonctionne au niveau instinctif: « Le choix du facteur dominant ne relève pas de la volonté consciente de l’artiste mais de son instinct » (Christiansen 1909, 243).

54Ces formulations impliquent l’existence d’œuvres qui exigeraient simultanément plusieurs visées possibles. Chacune de ces visées, en accentuant différemment des éléments variés, pourrait constituer une dominante. Dans le cas de ces œuvres à dominantes multiples, la perception du lecteur ou du spectateur se laisserait glisser entre différentes dominantes. Ainsi, à la lumière de ces définitions, la dominante apparaît comme un concept purement empathique, une variante du phénomène que l’esthétique empathique définit comme la « résonnance empathique ».

Le principe de la « défamiliarisation » et la « loi du barrage psychique »

55Le mécanisme du célèbre principe de la « défamiliarisation », posé par le formalisme russe, semble homologue à celui qui fonde « la loi du barrage psychique », fondamentale dans la psychologie de Th. Lipps.

56Selon Lipps, l’« âme » a à sa disposition un certain potentiel d’énergie (ou de force : Kraft]. Lorsqu’un processus mental prend le pas par rapport à un autre, cela n’est possible que parce qu’il a puisé dans le réservoir de force grâce à l’énergie psychique qui l’anime. Cela signifie que ce processus s’est approprié de la force et qu’il a acquis de cette manière la plus grande efficience. Le moyen d’accroître la force est l’accumulation psychique. Cette loi exprime le fait d’aperception d’une portée psychique particulière : il s’agit du cas où l’on observe un cumul et un blocage d’aperception dans un seul point (Lipps 1906, 94-96).

57La loi de l’accumulation psychique s’énonce comme suit : « Quand un processus psychique est interrompu ou retenu dans son déroulement naturel, ou quand un élément étranger interfère dans celui-ci, alors il se produit à l’endroit, où a lieu l’interruption, l’obstacle par cet élément étranger, un blocus et une accumulation [Stauung] » (Lipps 1906, 108).

58La conséquence en est que la force psychique se concentre sur ce point. Cela signifie pour Lipps le fait que la tendance à la propagation, dont la réalisation a été empêchée, conduit à la concentration de la force psychique dans ce même point d’empêchement. Cette concentration de la force psychique peut dépasser l’inhibition advenue dans l’écoulement de l’événement psychique. Ce cumul de la force psychique par le simple fait d’avoir eu lieu provoque une rétroaction aperceptive en arrière et à côté [nach rückwärts und seitwärts]. C’est par cette voie contournée que l’obstacle ainsi créé est éliminé et transgressé (Lipps 1906, 109).

59Lipps définit ce phénomène comme un fait de la mécanique téléologique au cours de l’évolution des représentations. Parmi les exemples de ce « barrage psychique » Lipps cite l’effet d’une rupture inattendue dans une série d’éléments homogènes qui suggère normalement l’idée d’une continuité ; la rupture brutale dans l’écoulement d’une mélodie qui atteint soudain notre ouïe ; l’effet de rupture dans le déroulement d’une phrase ou d’un récit, l’émergence d’un élément qui est en flagrant contraste avec l’élément précédent ; l’effet de dissonance dans une succession des tonalités musicales. Ou encore, l’apparition dans un enchaînement associatif qui nous est familier d’un élément hétérogène étranger à cette série ; l’apparition d’un phénomène par principe en désaccord avec nos habitudes. En outre, Lipps évoque dans ce contexte un potentiel d’excitation qui caractérise les choses annoncées à moitié ou en général tout énoncé inachevé ou toute allusion (Lipps 1906, 109).

60Pour Lipps, toute « visée » [Streben] relève en dernier recours de ce phénomène de « barrage psychique ». Lipps le met en relation avec le fait qu’il désigne par le terme d’énergie du contraste. Il s’agit du fait dans lequel ce qui est nouveau ou ce qui est rare, inhabituel ou surprenant possède un potentiel expressif élevé parce que ce phénomène – à la différence de ce qui est habituel ou normal – ne reste pas confiné au système de relations où cet élément serait passé inaperçu. Ainsi, Lipps perçoit dans tout effet de nouveau, dans toute nouveauté cet aspect positif caractéristique du « barrage psychique » [Stauung].

61Le type de mouvement psychique « en arrière et à côté » provoqué par ce phénomène, est à l’origine de l’effet du déplacement de l’attention qui suit la même trajectoire. Ce type de mouvement caractérise également les « diagrammes » (Jakobson) du formalisme russe, ce mouvement non-linéaire ou « en ligne brisée » défini tantôt comme métaphore d’une « marche de cavalier » (Chklovski), tantôt – dans le champs de l’histoire littéraire – par la figure de l’ « évolution littéraire » (Tynianov) ou encore en termes de « canonisation de la branche cadette » (Chklovski) au sein d’un système littéraire, ces deux concepts cherchant à expliciter le déplacement des éléments marginaux ou périphériques vers le centre du système. Ces variantes du principe formaliste de « défamiliarisation » fournissent de parfaites illustrations de ce que Lipps définit comme la loi du « barrage psychique ».

62Dans son étude « Friedrich Nietzsche, psychologie » (1911), Max Riedmann attire l’attention sur la congruence entre la loi du « barrage psychique » décrite par Lipps et certaines positions de l’esthétique nietzschéenne. Selon M. Riedmann, Nietzsche n’a pas ignoré cette loi. Nietzsche écrit en effet que – de la même manière dont les sculptures en bas-relief agissent fortement sur l’imagination au point de donner l’impression de vouloir sortir du mur et d’en être empêchées soudainement – il arrive que la vision incomplète d’une pensée ou de toute une philosophie agit plus fortement que l’exposition exhaustive de ladite pensée ou de ladite philosophie. Cette vision incomplète qu’on a du jeu d’ombres et de lumières est plus forte sous cette forme. Tout cela conduit au principe selon lequel « l’incomplet est souvent plus efficient que l’exhaustivité » (Riedmann 1911, 56). En outre, ce rapprochement permet de concevoir la part de Nietzsche dans le formalisme russe et de comprendre l’affinité de la démarche formaliste avec la psychologie esthétique de Nietzsche.16

Conclusion

63Ces analyses comparées montrent l’importance du substrat psychologique commun partagé par le formalisme et par l’esthétique psychologique de cette période. Il semble que les similitudes entre les deux approches sont ancrées dans un modèle de départ commun proposé par les psychologues de l’époque. En effet la psychologie des sentiments cherchait à démontrer une forte interaction entre les sentiments élémentaires et les formes géométriques simples ou encore le déclenchement de réactions émotives par certaines configurations formelles. En d’autres termes, on voit se dessiner une continuité entre, d’un côté, l’un des concepts clé de la pensée linguistique de cette période qu’est le « sentiment de la langue » [Sprachgefühl] et, de l’autre côté, ce concept crucial de l’« esthétique psychologique » qu’est le « sentiment de la forme » [Formgefühl]. La cohésion entre ces concepts est double, elle est déterminée à la fois par la convergence dans la perspective émotive ou empathique ainsi que par la convergence dans la dimension formelle.

64L’analyse comparée des positions de ces deux courants – de l’approche formaliste et de l’esthétique empathique – fait ainsi apparaître les traits qui les apparentent à la psychologie d’alors à laquelle ils empruntent certaines conceptions de la vie psychique et certaines techniques d’analyse. Ce sujet nous semble primordial pour l’histoire conceptuelle du formalisme et du structuralisme européens. L’homologie conceptuelle de ces deux approches se profile sur l’arrière-plan de l’histoire de la psychologie scientifique. L’interaction entre la psychologie et ces courants esthétiques fait partie d’un processus paneuropéen plus vaste définissable comme « psychologisation du savoir » (1850–1920) (Romand et Tchougounnikov 2010).

    Notes

  • 1 Tels que Hermann Lotze, Hermann Siebeck, Friedrich Theodor Vischer, Robert Vischer, Johannes Volkelt, Theodor Lipps et d'autres encore.
  • 2 C’est Carole Maigné, professeure à l’Université de Lausanne, qui a attiré mon attention sur cette querelle emblématique (cf. Maigné 2017, 204-214).
  • 3 Voir en particulier le concept d’ustanovka (« orientation » ou « visée »), introduit par J. Tynianov dans son article de 1925 « L’ode comme un genre oratoire » (cf. Tynianov 1972, 272-274), concept que Jakobson dans son article « Linguistique et poétique » utilise directement dans sa version allemande (c’est-à-dire, comme Einstellung] (cf. Jakobson 1963, 118).
  • 4 Sur la nature immédiate de l’Einfühlung cf. (Volkelt 1905, 260).
  • 5 Voir sur l’Einfühlung optique : (Volkelt 1905, 263) et l’Einfühlung relative au rythme (Volkelt 1905, 276). Il s’agit pour Volkelt d’un processus vital généralisé : cette activité se déclenche de manière automatique lors de toute perception auditive ou visuelle. Le mécanisme d’Einfühlung joue un grand rôle dans l’expérience quotidienne de l’homme (Volkelt 1905, 217-218). Sur l’effet de Stimmung et le rôle des sentiments [Gefühle] dans ce phénomène d’ Einfühlung cf. (Volkelt 1905, 202-211)
  • 6 Sur l’effet de Einfühlung lié aux formes humaines en repos cf. (Volkelt 1905, 230).
  • 7 Sur l’intensification des sentiments [Gefühle] dans l’Einfühlung esthétique cf. (Volkelt 1905, 217). Sur le mécanisme d’Einfühlung esthétique cf. (Volkelt 1905, 212-236).
  • 8 Les formalistes russes sont bien familiers des conceptions de Walzel, cf. par exemple (Dmitriev 2002, 423-440).
  • 9 Nous avons traité cette question (Tchougounnikov 2002)
  • 10 Cf. à ce sujet (Whitney 2011, 45-46). En effet, toute approche formaliste de la peinture et, au sens plus large, de la « culture visuelle », a à faire avec les configurations sensibles des artéfacts et des œuvres d’art (nous croyons possible d’y ajouter les faits de langue). Tous les formalismes traitent les « aspects formels » de ces objets, ces aspects étant compris par Whitney comme « formalité », ou encore comme « cofigurativité apparente » [formality ou apparent configuratedness] (Whitney 2011, 45).
  • 11 Jakobson d’ailleurs n’hésite pas à rapprocher le phonique et le visuel : il a recours directement à l’exemple de E. Gombrich emprunté au phénomène pictural. Gombrich y analyse les équivalences synesthétiques entre les éléments d’ordre distinct.
  • 12 Jakobson cite en outre Peterfalvi et P. Guillaume qui voient dans « le symbolisme multivalent des sons du langage une donnée synesthétique universelle » (Jakobson & Waugh 1980, 230)
  • 13 Voir à ce sujet (Majetschak 2009, 167-170).
  • 14 C’est ainsi que ce processus apparaît dans la conception des « mouvements expressifs » de K. Fiedler (Fiedler 1971, 193–194).
  • 15 Cette notion formaliste est bien connue et largement commentée, voir par exemple (Depretto 2012). Dans ce contexte, on tend souvent à oublier le sens initial de cette notion. On le trouve dans La philosophie de l’art [Philosophie der Kunst, 1909] de Broder Christiansen (1869–1958), l’une des sources bien attestées du formalisme russe. Pour Christiansen, il s’agit là d’une notion profondément empathique.
  • 16 La piste nietzschéenne dans le formalisme est loin d’être une nouveauté, voir par exemple (Aucouturier 1994, 63)

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Publication details

Published in:

Romand David, Tchougounnikov Serge (2021) Theodor Lipps (1851-1914): psychologie, philosophie, esthétique, langage/psychology, philosophy, aesthetics, language. Genève-Lausanne, sdvig press.

DOI: 10.19079/138650.8

Full citation:

Tchougounnikov Serge, Teixeira Joanna (2021) „L'approche formaliste et l'esthétique de l'empathie“, In: D. Romand & S. Tchougounnikov (éds), Theodor Lipps (1851-1914), Genève-Lausanne, sdvig press.