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Le langage comme Einfühlung

la conception du langage de Lipps dans le contexte de la linguistique de son temps

Serge Tchougounnikov(University of Burgundy Franche-Comté)

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1La conception du langage de Th. Lipps est exposée principalement dans le premier volume de son Esthétique (1906) et dans le court chapitre « Langage » faisant partie de son Leitfaden der Psychologie (1906). Comme il fallait s’y attendre, il s’agit d’une conception empathique. Dans ce qui suit nous analyserons la conception de Lipps dans le contexte des sciences du langage d’alors, en accentuant en particulier sa place dans le paysage de la « linguistique psychologique » de son temps.

Le langage, un dispositif emphatique

2Voici comment Lipps présente le mécanisme du langage dans sa perspective bien personnelle : le locuteur (l’individu) entend un mot et, de ce fait, son attention est dirigée vers son contenu [littéralement, vers son objet]. Le locuteur a ensuite tendance à rendre de manière sonore le vécu associé à ce mot , c’est-à-dire l’aperception de l’objet désigné par ce mot. En même temps, le locuteur est incliné à reproduire ou à imiter ce mot. Puis ces deux réactions se rencontrent dans la tendance à exprimer de façon sonore l’aperception de l’objet par ce mot. Dans la mesure où le locuteur a déjà associé le mot avec celui qui l’a prononcé [c’est-à-dire, avec l’interlocuteur], il vit cette tendance dans le mot entendu, à savoir, dans le locuteur. L’autre étant perçu comme un « autre moi », il en résulte une division du « moi » du locuteur qui se scinde en « moi parlant » et en « moi entendant ». Ainsi, pour Lipps, la communication est un acte consistant à sonoriser ou à phonétiser les vécus (Lipps 1903-a, 195).

3S’il se produit cette division du « moi », il s’en suit, d’une part, le « savoir » [ou l’information : Wissen] que l’autre a aperçu l’objet, et qu’il communique ce vécu de façon sonore, sous forme d’un mot. D’autre part, il en résulte chez le locuteur la conscience de son aperception de l’objet et de sa tendance à l’expression sonore et à la communication sonore. Ces deux réactions sont liées l’une à l’autre, c’est-à-dire que le mot entendu apparaît comme une communication sonore de l’aperception de l’objet par un autre individu. Ce double phénomène reste néanmoins toujours ce qui conditionne l’aperception de l’objet par le locuteur [Lipps dit : « mon apperception »]. Ainsi, dans tout acte de langage, Lipps distingue deux moments : 1) le mot prononcé par un autre, une phonation [Verlautbarung] et 2) le mot entendu par « moi », une communication [Mitteilung]. C’est la prise de conscience de cette interaction, de cette double réaction, qui fait que le mot prononcé a pour le locuteur [Lipps dit : « pour moi »] la signification d’une « communication » [Mitteilung] (Ibid., 195).

4Et Lipps de continuer :

A l’inverse, le fait que moi-même je prononce un mot apparaît comme une communication à autrui. Et maintenant, je pense à mon tour avoir pour visée [Streben] le fait que l’autre aperçoive de la même manière un objet et fait donc de la prononciation d’un mot un moyen de ce but. Je peux chercher à faire percevoir quelque chose à autrui en prononçant un mot. Je suis capable de communiquer de façon consciente (Ibid., 195).

5Lipps conçoit ce double mécanisme « phonation [Verlautbarung] / communication [Mitteilung] » comme étant à l’origine du langage. Selon lui, sur la base de cet instinct imitatif et phonétisant (ou encore, d’expression sonore ou d’extériorisation sonore), on peut comprendre l’apparition originelle du langage dans la mesure où « ce jaillissement originel de la langue » (Ibid., 196) pourrait recevoir une explication psychologique. Aux yeux de Lipps, s’il est vrai qu’il existe une pulsion [Trieb] d’expression sonore du vécu, il faut imaginer cette pulsion pour chaque vécu aperceptif. L’appréhension [Auffassung] de chaque objet particulier est un vécu en soi [Erleben]. Dès le début, chaque appréhension d’un objet différent a dû provoquer une tendance sonore particulière. Tout objet a dû susciter une tendance émotive spécifique quelle que soit la manifestation sonore qui en a résulté (Ibid., 196).

6La vision génétique de l’émergence du langage phonique se présente comme suit. La manifestation phonique de cette tendance dépendait de la maîtrise des organes du langage. A l’origine, étant donné le faible développement du mécanisme du langage, on a vu apparaître une langue insuffisante. Ce développement limité du mécanisme du langage a été par la suite pallié par des mouvements du langage. Etant donné que l’impression de chaque objet était différente pour chaque individu autant dans la pratique que dans l’exercice du mécanisme du langage, il est possible que chaque individu ait crée lui-même sa propre langue.

7Mais à cela s’oppose la tendance à l’imitation mutuelle : il en a résulté une langue commune pour ceux qui vivaient ensemble. Ainsi, historiquement, selon Lipps, l’imitation des choses s’est ajoutée à l’imitation des mots entendus (Ibid., 196).

8Par conséquent, le mécanisme de l’émergence du langage esquissé par Lipps tient compte non seulement de l’imitation des sons naturels par des sons équivalents, mais aussi de l’expression sonore de la perception de tout objet possible par des sons et des associations de sons. C’est aussi une façon de prendre position sur la motivation des entités langagières : en effet, dans ce modèle, c’est l’intuition des locuteurs qui les autorise à juger de la continuité entre l’expression sonore de la perception d’un objet et les caractéristiques objectives de l’objet perçu (Ibid., 196).

9Lipps applique un schéma analogue à l’émergence du jugement. Pour lui, de même que l’acte de l’appréhension des objets, les actes de jugement sont provoqués par une pulsion d’expression sonore. Selon le même procédé, l’extériorisation verbale de la volonté a pu devenir pour le locuteur [Lipps dit : « pour moi »] l’expression du vouloir, et l’extériorisation verbale des sentiments a pu devenir l’expression des sentiments. C’est pour cette raison que Lipps critique le modèle logique de la proposition, fondé sur la compréhension rationnelle des relations entre les prémisses et la conséquence. Ce qui compte dans les propositions logiques, ce n’est pas une relation logique des objets. Lipps voit dans le jugement non pas une nécessité logique, mais plutôt le besoin psychologique lié au fonctionnement des représentations, des jugements, de la volonté, des sentiments. Ainsi, selon Lipps, le jugement n’est pas une exigence logique, mais le vécu fixé sur le mode verbal par des mots. Ce processus résulte de l’interpellation émotive (ou empathique) que comporte l’usage du langage. C’est cette sollicitation qui conduit à l’incarnation phonique des vécus (Ibid., 196-197).

10Le même dispositif est mobilisé pour expliquer l’émergence du langage chez l’enfant. Voici comment Lipps décrit ce processus :

L’enfant entend des mots. Ce sont des sons distincts de ceux qu’il produit lui-même. Néanmoins, ils sont plus ou moins semblables à ces derniers. Cette similitude suscite chez l’enfant la tendance à accomplir des mouvements articulatoires déjà courants (Lipps 1903-b, 483).

11Dans le modèle de Lipps, les mouvements articulatoires sont conçus comme des mouvements expressifs. En effet, dans la mesure où les sons associés à l’appréhension des objets s’ajoutent au mouvement, les deux s’associent à un vécu unique. Par conséquent, la perception de tel ou tel son semblable suscite la tendance à accomplir de nouveau les mouvements correspondants. Au début cette imitation ne réussit pas, l’impulsion de mouvement est détournée par la variété des possibilités cinétiques. Lipps désigne ce processus par le terme d’« essai ». L’enfant essaie d’imiter les sons entendus. Cette imitation ne réussit pas au début. La modification des mouvements sonores [Lautbewegungen] déjà familiers conduit à l’apparition de nouveaux sons. Mais les sons entendus agissent obstinément pour modifier les sons que l’enfant produit dans la mesure où ils ne sont pas exactement comme ce qu’il avait entendu (Ibid., 484).

12A ce propos, Lipps reprend son affirmation selon laquelle tout vécu interne reçoit nécessairement une manifestation sonore externe : Lipps a de nouveau recours à l’idée d’une pulsion [Trieb] consistant à sonoriser ou à manifester phoniquement les vécus [Erlebnisse]. Voici le dispositif psychologique de cette sonorisation tel qu’il est décrit par Lipps : l’enfant est attentif à l’égard d’un objet. Il élabore une image, il appréhende une chose. C’est un vécu particulier que l’enfant cherche à sonoriser. Dans la mesure où l’enfant appréhende l’objet et reçoit un vécu de cette tendance, il entend simultanément le mot avec lequel l’adulte désigne un objet. Si, au début de cet essai, l’enfant réussit l’imitation de ce mot, cela signifie que l’image de ce mot ou de ce complexe sonore s’associe en lui avec le mouvement correspondant. Ainsi, la perception de ce mot comporte directement la tendance à accomplir ce mouvement (Ibid., 484).

13Comme dans son hypothèse de l’émergence du langage chez l’espèce humaine, Lipps postule la coexistence simultanée de deux tendances [Streben] dans le psychisme de l’enfant : la tendance à sonoriser la conception de l’objet et la tendance à reproduire le mot entendu. Ces deux tendances fusionnent pour former une seule et même tendance. Lipps conçoit un mécanisme cinétique de la perception. Pour lui, cette dernière s’accompagne de mouvements qui conditionnent la réalisation d’un complexe sonore donné. Percevoir signifie exprimer : il s’agit par conséquent d’une conception expressive du langage. La conception du langage de Lipps est expressive dans la mesure où elle rejette le principe de la pensée silencieuse. Le fait de concevoir mentalement est pour lui un processus nécessairement audible qui s’accompagne de sonorisation. Ce processus se trouve renforcé par la tendance imitative ou reproductive qui consiste à reproduire tout mot entendu. La tendance imitative est donc une tendance reproductive. La tendance qui consiste à prononcer le mot entendu est conditionnée par une tendance reproductive. Il en résulte la tendance à sonoriser la conception de l’objet de cette manière précise, c’est-à-dire en imitant le mot entendu. De ce fait, un objet possède pour l’enfant son nom, et le mot possède son sens objectal [gegenständlicher Sinn] (Ibid., 484).

14Et Lipps de continuer :

La conscience que l’objet possède un nom, c’est aussi la conscience que la conception que j’ai de cet objet implique le désir, l’impulsion, l’obligation d’exprimer ma possession de l’objet par le fait d’émettre un complexe sonore particulier. Elle consiste dans la conscience de cette congruence d’une expression sonore avec un acte de conception de cet objet (Ibid., 484).

15Pour Lipps, le « mot » équivaut à une conception interne d’un objet : le mot implique le fait qu’il ait dans sa prononciation la tendance ou la nécessité de concevoir intérieurement cet objet. Un enfant qui émet un « mot » est en train de prendre conscience du contenu objectal de l’objet qu’il conçoit, c’est-à-dire qu’il porte un jugement. Simultanément il entend une phrase. Ici la tendance qui consiste à exprimer un vécu interne (que Lipps nomme « jugement ») s’associe avec la tendance qui consiste à répéter une phrase, ou encore avec la tendance à exprimer un jugement dans une phrase. La première tendance reçoit dans la seconde son contenu précis. C’est ainsi que la phrase devient une expression ou un énoncé qui appartient à ce jugement, et la phrase reçoit dans ce jugement le sens qui lui appartient (Ibid., 484).

Une conception esthétique du langage

16La conception du langage de Lipps est tributaire de l’expression (qui se manifeste sous forme de mouvements expressifs) et de l’imitation, c’est la raison pour laquelle elle peut être qualifiée d’esthétique. Pour Lipps, le langage et l’art partagent cette dimension expressive.

17Lipps accentue l’immanence de l’expression dans les apparitions sensibles. Ces phénomènes expressifs peuvent s’accomplir au quotidien sans rapport avec toute valeur ou tout contenu esthétique. Lipps cite comme exemple un geste de deuil. Le deuil se trouve dans une attitude ou dans un geste non pas de façon générale mais comme quelque chose qui est exprimé par celui-ci. Le geste de deuil est par conséquent un deuil, non pas un deuil en soi, mais un deuil exprimé. Lipps perçoit ce fait comme très particulier, car le geste et le deuil pris l’un par rapport à l’autre sont pour lui deux choses incomparables. Mais cette singularité est bien présente, et c’est précisément elle qui constitue l’essence de l’art. Lipps situe cette essence de l’art dans une relation qui s’établit entre une manifestation sensible externe et l’intériorité individuelle. Pour lui, il s’agit là d’un phénomène étrange selon lequel cette manifestation sensible d’autrui, de l’individu autre que « moi-même » contient pour « moi » cette intériorité. L’interpénétration de ces deux instances – de l’extérieur et de l’intérieur – est caractéristique aussi bien des manifestations de la vie quotidienne que de l’affect représenté à l’aide des procédés artistiques.

18L’exemple du geste de deuil reflète la particularité de l’art. Cette dernière réside dans le fait que, dans ce geste, il ne s’agit plus d’un sens direct ou immédiat de l’expression, mais d’un certain contenu esthétique qui est réalisé dans l’expression, en l’occurrence dans l’expression du deuil. Cette distinction est d’autant plus difficile à saisir que le contenu esthétique ainsi que le sens immédiat du geste sont indissociablement fusionnés avec la manifestation sensible (Lipps 1906, 24-28).

19Pour fonder une esthétique de la poésie, Lipps se propose de définir des supports potentiels de la symbolique du langage. Selon lui, il convient avant tout de distinguer les éléments acoustiques et les éléments de sens (Lipps 1903-b, 487). Parmi les éléments acoustiques [Klangelemente], Lipps différencie des éléments sonores au sens étroit et des éléments rythmiques au sens large. Il range parmi les éléments sonores le timbre de la voix [die Klangfarbe der Stimme] du locuteur. Pour Lipps, le timbre n’est pas seulement une composante de la poésie, il peut également devenir un facteur esthétique (Ibid., 488).

20Différentes caractéristiques des sonorités langagières [Sprachklänge] – des voyelles et des consonnes – font partie de la poésie elle-même. Ces éléments vocaliques et consonantiques se combinent : il en résulte le phénomène de la rime, de l’assonance, divers types de répétition et d’allitération de sons avec divers types d’harmonie et de disharmonie qui leur sont propres. Ces éléments sonores appartiennent à la totalité de l’œuvre. Leur succession comporte une vitalité [Lebendigkeit] continuellement restructurée (Ibid., 489-490).

21Parmi les éléments rythmiques conçus comme la seconde forme des éléments acoustiques, Lipps entend principalement les composantes dynamiques de l’exposé verbal par lesquelles le poème devient expressif. Ce qualificatif « expressif » signifie que l’expression réside non pas dans le sens des mots mais dans les éléments mêmes de l’exposé verbal (Lipps 1903-b, 490-494).

22Lipps sépare les éléments rythmiques en deux groupes : éléments formels et éléments concrets ou objectifs [gegenständig], dits des éléments du sens (Ibid., 487-488). Parmi le groupe des éléments formels, il distingue les éléments intellectuels et les éléments émotionnels qui ne peuvent être isolés que sur le plan théorique. Au sein des éléments intellectuel on compte : les figures, les tropes, les métaphores, les comparaisons, les paraboles, mais aussi toute forme d’expression rendue plus riche et plus animée (Ibid., 495).

23Parmi les éléments émotionnels, Lipps entend d’abord les sons émotifs [Affektlaute] et les interjections, puis tous les prédicats qui incluent une appréciation ou une impression affective (sentimentale) d’une chose. Il mentionne également dans ce contexte les composantes associatives, – c’est-à-dire les mots et les allusions suscités à travers ce qu’on ressent lors de la prononciation ou l’écoute d’un certain mot} et au moyen desquels nous éprouvons le caractère parti|culier d’une sphère sémantico-émotionnelle déterminée (par exemple, la vie de la ruelle, d’une société cultivée, d’un emploi poétique, d’un usage de la langue poétique ou scientifique ; les mots peuvent être ensuite soignés ou étranges, élevés ou vulgaires, grossiers ou fins, triviaux ou personnels) (Ibid., 496-497), lorsque l’expression ne réside pas dans le sens des mots, mais dans les composantes verbales elles-mêmes du texte [Vortrag] (Ibid., 494).

24A côté des éléments formels comme première sous-catégorie des éléments du sens, les éléments concrets ou matériels [gegenständig] forment la deuxième sous-catégorie (Ibid., 487-488). La langue est le moyen de la description des phénomènes perçus, de la communication des faits particuliers ou généraux et des contenus de pensée ; en un mot, des relations, de ce qu’on rapporte. Ainsi, nous pouvons rapporter à nous aussi bien un événement, un état ou un fait extérieur que des situations, des vécus et des états intérieurs. Ce type de rapport peut avoir un double aspect, il peut être objectif ou informatif (Ibid., 498-499).

25Il n’y aurait pas de différence fondamentale entre les deux catégories s’il s’agissait simplement de faire une équation entre la phrase et un jugement ; mais ce n’est pas le cas car les phrases peuvent être également l’expression directe d’un « fait », c’est-à-dire d’un comportement intérieur actuel du locuteur. Ainsi, lorsque je communique mon étonnement actuel par la phrase « je suis étonné », cette phrase n’est pas l’expression d’un jugement sur l’étonnement, mais elle est l’expression de cet étonnement lui-même. De même, des phrases telles que « je me réjouis », « je veux », « je crois » sont l’expression même de cette joie, de ce vouloir, de cette croyance. En revanche, le fait de dire que j’ai été étonné par une chose n’est pas l’expression de mon étonnement, mais de mon souvenir ou de mon appréciation sur le fait d’avoir ressenti de l’étonnement.

26Tandis que cette proposition est le rapport objectif d’un état d’âme, les autres propositions en constituent l’information directe (Ibid., 499-500). Ainsi, la relation entre l’information et le rapport [Bericht] est celle de l’expression immédiate d’un fait à l’expression de la représentation de la chose ou du jugement qu’on porte sur cette chose (Ibid., 501).

27A partir de ces prémisses, Lipps aboutit à une dichotomie particulière au sein de l’art poétique [Dichtkunst] qui vaut ensuite pour l’ensemble de l’art. Il oppose l’art qui donne un rapport objectif (l’art épique qui donne la représentation directe des choses) et l’art lyrique (l’art dramatique mais aussi toutes les autres formes artistiques) (Ibid., 501-502). Lipps fait remarquer qu’il ne peut pas y avoir un rapport purement objectif car les mots possèdent toujours une puissance phonosymbolique, de sorte qu’inévitablement les mots contiennent plus ou moins la personnalité du poète (Ibid., 502-504).

28En fin de compte la question fondamentale de toute esthétique poétique, à savoir la question de l’immanence de l’expression poétique ou de l’idée dans les moyens de l’expression langagière, trouve réponse dans l’Einfühlung. Lipps ne considère pas l’usage de la langue dans la vie quotidienne comme un acte intellectuel mais comme Einfühlung, une objectivation de ce qu’on comprend. Il s’agit d’une objectivation de la personne qui réfléchit, qui pense, qui ressent toujours ses actes personnels dans les mots communs à tous (Ibid., 486). C’est ainsi que le fait de la symbolique de la langue devient un fait d’Einfühlung positive et négative (Ibid., 487).

29Pour Lipps, la poésie devient expressive par la symbolique des éléments rythmiques. Cela signifie qu’elle témoigne non pas de la vie des sonorités, mais de la vie de l’individu, qui se trouve derrière les sonorités et qui se manifeste à travers celles-ci. C’est le « moi idéal » [ein ideales Ich] du discours et de la poésie qui s’exprime dans la parole ou dans la poésie à travers des sonorités. Ce « moi idéal » se présente à nous comme celui qui lit ou qui exécute un poème, qui semble parler en son nom. On assimile la personne qui lit le poème à ce « moi idéal ». Il s’agit bien du caractère vivant ; mais ce caractère vivant n’est pas celui de l’acteur qui lit, il est celui de l’auteur du poème. C’est l’expression vivante du « moi idéal » du poème, c’est-à-dire de sa personne dans la mesure où on se fait dissoudre en tant qu’acteur dans le discours qu’on interprète. C’est donc l’expression vivante, le cachet vivant que possède cette poésie, qui lui est propre. Mais cette expression doit être actualisée ou révélée par l’acteur. L’exécution est un organe circonstanciel à travers lequel le discours ou la poésie nous parle.

30Si en revanche on lit le discours ou la poésie, ce « moi idéal » n’est présent que dans le poème lui-même ; c’est le poème lui-même qui devient la personne qui parle. Il y a donc dans le discours ou la poésie, derrière les mots, le moi idéal qui nous parle. Ce moi idéal n’est pas « moi-même », à savoir je me refuse moi-même dans les mots, comme si je les prononçais et qu’ils m’exprimaient. En effet, le « moi idéal » du poème est un moi idéal introduit ; c’est mon « moi idéal » qui se concrétise réellement dans le poème. Et ce « moi idéal », cet individu identique à moi, parle ou ne parle pas à travers moi-même au moyen du rythme propre à ce discours ou à ce poème, à travers son accent naturel, par l’intermédiaire du rythme avec lequel il est associé. Grâce à ces éléments puissants ou doux, mélangés ou légers, joyeux ou sérieux, passionnés ou calmes, ce discours ou ce poème est dès lors une personnalité, de la même manière que toute personnalité peut être ceci ou cela.

31Pour Lipps, ce qui est « vivant » dans la poésie, n’est rien d’autre que « moi-même », dans la mesure où je me retrouve moi-même parlant ou m’exprimant dans les mots et dans les séquences de mots. Le « moi idéal » de la poésie est un moi ressenti par « moi-même » ; c’est mon « moi idéal » (Ibid., 493). Le poète lui-même n’est donc rien d’autre que le « moi » que j’insuffle moi-même dans la poésie (Ibid., 503).

Le langage comme visée [Streben]

32La notion de « visée » [Streben] est essentielle dans la psychologie de Lipps. Nous considérons que ce concept est aussi constitutif de sa conception du langage où il joue un rôle de première importance.

33Le Moi [Ich], pour Lipps, est ce qui reste quand je congédie toutes les représentations, toutes les idées ; c’est l’instance qui congédie tout le reste de la vie psychique. Cette instance de « Moi » est primordiale pour la constitution de l’opposition entre sujet et objet. En effet, selon Lipps, « les objets c’est ce qui me fait face [Gegenstände]. Sans le moi, ce terme n’aurait eu aucun sens » (Lipps [1902] 2015, 19).

34On peut rendre le terme de Streben par « tendance », « tension », « aspiration », par « tendre vers quelque chose », ou par « le fait d’être tendu ».

35Lipps appelle Streben l’état mental suivant : « Aspirer à un vécu plein », « Avoir un désir brûlant », « aspirer à quelque chose », « désirer fortement », « sentir un besoin exigeant de quelque chose », « être dans l’attente et l’espoir », « avoir un désir nostalgique de quelque chose », « se concentrer fortement sur quelque chose ». En outre, parmi les divers sens de ce terme proposés par Lipps on trouve : « méditation », « réflexion » [sich Besinnen], « vouloir », « craindre », « espérer », ou encore « méditer intensivement », « éprouver une tension vers quelque chose ». Pour cet ensemble d’états mentaux, l’expression la plus neutre pour Lipps est Streben (qu’on peut transposer par le terme de visée ou d’orientation) (Ibid., 19).

36Le concept de Streben traduit un état mental particulier, un mouvement du « moi » qui consiste à viser quelque chose. La géométrie mentale esquissée par ce concept introduit un contraste entre deux états mentaux, deux faits de conscience : état-point et état-ligne. Le premier état mental correspond à l’existence qui consiste à rassembler calmement dans un endroit l’existence pacifiée, à se rassembler mentalement sur un point. Le second état mental consiste à viser quelque chose.

37Voici comment Lipps décrit ce second état :

D’abord, ce qui m’arrive, ce que je perçois comme une multiplication de mon existence interne, de ma disposition personnelle ou mes relations avec le monde extérieur. C’est un mouvement du moi réel. Tantôt je me trouve progressant de pensée à pensée, d’idée à idée, sans effort ou résistance. Les idées viennent d’elles-mêmes. Elles défilent devant mon œil intérieur. Je me comporte à leur égard comme un simple spectateur sans désir ou sans visée. Tantôt au contraire la progression de pensée à pensée nécessite très explicitement un effort pour progresser d’un point à un autre, avec un but, avec une visée (Ibid., 20).

38Elle le fait avec un effort persistant, linéaire, qui s’étend comme une ligne et un effort géométrique dans le mouvement.

39Pour Lipps, le phénomène de Streben est « l’état de fait, le constat, la constatation [der Tathbestand] ». Selon lui, « le constat de la visée est le fait de conscience ultime et en tant que telle il n’est pas définissable » (Ibid., 20). Aux yeux de Lipps, on peut d’autant plus précisément indiquer l’état de fait psychique qui est à son origine. Avec cet état psychique hypothétique on est en présence d’un événement psychique ou d’un processus psychique déclenché, et simultanément en lui et avec lui sont données les conditions possibles pour un type précis de progression et pour une certaine réussite (Ibid., 20).

40Alexander Pfänder, disciple de Lipps, définit la notion de « visée » à sa manière. Pour lui, ce terme désigne « une pulsion [Drang], une tendance, un désir [Begehren], un vœu (un souhait), une aspiration, un fort désir, une volonté, une action » (Pfänder 1904, 245). Selon Pfänder, tous ces aspects des états psychiques sont des éléments vraiment psychiques car ils contiennent le sujet psychique. Tous ces aspects sont par nature le désir, l’aspiration d’un sujet psychique particulier. Ils seraient réduits à néant si on l'ôtait. Autant qu’on sache, tous ces mouvements sont communs à tous les psychismes humains. Toutes les perceptions et les sensations sont accompagnées d’une tendance d’action. S’il n’avait pas cette tendance à réalisation, ce désir de faire, si les humains restaient purement spectateurs de leurs perceptions et de leurs états d’âme, il n’y aurait plus d’êtres humains (Ibid., 245-246).

41Toute personne qui a déjà espéré et désiré ardemment quelque chose et qui a exécuté un acte spirituel ou psychique, celui de vouloir quelque chose, et poursuivit un effort soutenu, comprend cette volonté de l’action ou d’un acte intérieur (Ibid., 246-247). Le sujet psychique ne se contente pas d’observer les mouvements de son psychisme, il prend parti pour ou contre, il est actif pour ou contre. Il s’agit d’une modification de son propre état d’âme, de l’état de sa conscience. Il ne se contente pas d’être là, il est animé d’un mouvement, il bouge avec un mouvement qui va dans une certaine direction (Ibid., 247). Ce qui est inhérent au terme de « visée » n’existe nulle part ailleurs que dans la réalité psychique. La réalité psychique dans laquelle vient s’ajouter au contenu de la conscience cet élément actif montre un aspect psychique totalement nouveau. La « visée » n’est pas un contenu de la conscience (Ibid., 247).

42Pour Pfänder, ces considérations excluent la théorie qui confond la « visée » [Streben] avec des sensations musculaires, car les sensations musculaires en tant que telles ne sont qu’une sorte de conscience objectale de l’objet. Elles ne comportent en soi aucun élément de la « visée » (Ibid., 248). Même si le mouvement est le meilleur symbole de la volonté et de l’action, c’est une erreur de penser que le mouvement en lui-même est déjà la « visée » ou l’action (Ibid., 249).

43Le mouvement en lui-même, qui est un changement de lieu, n’est pas une « visée » [Streben] car ce n’est pas un phénomène psychique. Ce mouvement peut se produire sans la moindre action corporelle. Il ne faut pas confondre le mouvement et la « visée ». On peut voir le mouvement, on ne voit pas l’effet d’action [Streben]. Le mouvement est le résultat de la « visée », mais il n’est pas la « visée » elle-même. L’aspiration de passer d’un endroit à l’autre n’est pas un passage lui-même.

44On peut constater la distinction entre le mouvement en lui-même et le désir de mouvement lorsqu’on s’imagine un corps en repos, qui manifeste le désir de mouvoir, mais en est empêché. Un corps immobilisé est animé par la volonté de bouger. La « visée » ne réside pas dans les sentiments. Au contraire il y a dans la nature de la « visée » quelque chose qui se distingue du simple « sentir » [fühlen]. Alors que les sentiments sont en eux-mêmes des états psychiques passifs, la « visée » est un rayonnement, un rayon d’énergie et d’activité partant du sujet psychique (Ibid., 251).

45Dans la conclusion de ses développements, Pfänder en vient à proposer une définition positive du terme de « visée ». La « visée » est la réalité psychique elle-même (Ibid., 265). Le point de départ, le sujet de toute « visée », de tout « tendre vers quelque chose », n’est pas un être particulier dans l’âme, mais le sujet de la réalité psychique elle-même. Tous les effets (prestations : Leistungen] que l’on attribue à la volonté sont en réalité les actes du sujet psychique, du moi [des Ichs]. La véritable volonté n’est rien d’autre que le sujet dans la mesure où il veut et il aspire vers quelque chose ; le « vouloir » est l’essence même du sujet (Ibid., 247).

46Chez Lipps, le langage fait partie de ce phénomène général de « visée » [Streben] dans la mesure où il présente une vaste variété de « visées », de « orientations » vers quelque chose ou vers quelque but. Le langage conçu en tant que « visée pure » se caractérise par un sentiment d’orientation vers quelque chose. La « visée » a son sens initial dans un vécu immédiat ; ce dernier est un sentiment de « visée » qui n’est réductible à rien d’autre. La « visée » est un contenu psychique ; dans ce sentiment d’orientation vers quelque chose, elle se manifeste comme un symptôme conscient. Ce contenu psychique factuel défini comme « visée » est à caractériser comme une tendance psychique empêchée dans sa réalisation. Ce terme de « visée » désigne le fait que les conditions positives d’un événement quelconque sont bien réunies. Cet événement aurait donc lieu si seulement un empêchement n’était pas là, ou encore si les conditions réunies pouvaient librement mener à bien, si elles pouvaient effectivement contribuer à la réalisation d’une activité conditionnée (Lipps 1903-a, 201-203).

47Sur le plan du langage, c’est le « mot » qui constitue un ensemble de conditions réunies en vue d’une aperception achevée. Le « mot » semble constituer une « visée » en vue d’une aperception potentielle. Du point de vue psychique, l’unité « mot » est une condition et une possibilité d’un libre développement d’un processus psychique aperceptif. C’est l’empêchement opposé au libre développement d’un processus psychique qui confère un contenu actuel à une tendance. En d’autres termes, cet empêchement ou cet arrêt conditionne le contenu psychique des faits qui fondent le sentiment de « visée » en général (cf. ibid., 203).

48L’empêchement d’un libre développement de l’événement psychique aboutit à un phénomène que Lipps définit ailleurs en termes de « barrage » [Stauung]. Dans la perspective lippsienne, à l’instar d’une « visée », le « mot » devient un événement psychique à mi-chemin entre son inhibition [barrage] et sa libre réalisation. Mais étant ainsi endigué ou inhibé dans sa réalisation, le « mot » augmente son efficacité psychique mentale. Cette efficacité mentale vise tout d’abord la confirmation et l’achèvement de l’événement empêché ou encore la réalisation de la tendance. C’est ainsi que l’efficacité mentale exprimée par le « mot » s’oppose à l’empêchement. La « vivacité » ou l’énergie de la « visée » est l’énergie de l’événement mental qui comporte une visée à la réalisation ou à l’achèvement (cf. ibid., 203).

49Le « mot » serait l’équivalent d’une structure [Gestalt], d’une « bonne forme » de la psychologie de la Gestalt, forme amenée à se réaliser. Le « mot » comporte nécessairement cette visée à une réalisation complète mais pour y aboutir, il est tributaire de diverses conditions psychiques. Dans le cadre de la conception de Lipps, la nature du mot est conçue comme intensive ou dynamique. Tout mot comporte ce sentiment de la « visée » qui se manifeste sous forme d’une tension interne éprouvée par le locuteur. Chez Lipps, le langage apparaît comme un phénomène principalement aperceptif. Il est tributaire de la « visée aperceptive », du fait de viser la « clarté » maximale ou l’actualisation complète d’une représentation verbale. Il fait partie de ce lien de tension entre positivité et négativité, entre activité et passivité, de cette zone où diverses intensités se réactivent et qui caractérise l’état mental du sujet psychique.

Lipps dans le paysage de la linguistique psychologique de son temps

50En dépit de l’indéniable originalité de sa démarche et de sa focalisation presque exclusive sur la notion d’empathie, le cas de Lipps est loin d’être isolé. En effet, la vision « empathologique » du langage est largement répandue dans les sciences du langage du tournant du XIX et XXème siècles, en premier lieu, celles de langue allemande.

51On peut d’abord constater que cette affinité concerne la position dominante du « sentiment » ou de l’émotion dans le dispositif langagier.

52La « linguistique psychologique » a emprunté à la psychologie de son temps le modèle de la représentation avec ses deux concepts-clés, celui de « représentation » et celui de « sentiment ». L’empathie est largement thématisée dans cette approche. On ne s’étonne pas par conséquent que le phénomène de « sentiment » joue un rôle crucial dans cette linguistique psychologique pour laquelle le sentiment fait partie du dispositif du langage.

53Tel est le cas de la linguistique de Heymann Steinthal (1823-1899), pour qui la « forme interne » constitue le lien entre le son et ce qui est signifié. Ce signifié ne consiste à l'origine que dans la perception des qualités sensibles et des relations qu’elles entretiennent entre elles. Ce qui est signifié comporte originellement des éléments qui constituent la matière de la conscience. En effet, pour Steinthal, dans le domaine de la perception, c'est-à-dire dans la conscience pré-linguistique, il n'y a que la matière, on n'y trouve pas de formes.1 C'est que la « forme » n'est pas perçue, elle est le produit de l'activité de l'âme ou de la conscience. La parole est la première activité qui donne une forme ; les perceptions fournissent la première matière que la parole utilise. Le produit de la perception par les sens est l'« intuition sensible », le « point de vue » ou encore la « manière de voir » [Anschauung]. Pour Steinthal, la nature de l'activité de la langue peut être qualifiée comme « intuition sensible de l'intuition sensible ». La représentation est le produit de cette activité, elle résulte de l'« intuition sensible de l'intuition sensible ». C'est dans ce processus formateur des représentations que réside la force créatrice du langage.2

54Les représentations sont fixées et reproduites dans les mots. Elles existent pour le locuteur dans la mesure où leur production ou leur génération au moyen des organes de la parole et leur perception par l'ouïe se manifestent dans un sentiment particulier qualitativement déterminé. Ce sentiment est lié précisément au sentiment associé relié à une représentation précise. La rétroaction de ce sentiment sur les nerfs moteurs contribue à engendrer le son correspondant à une représentation.3

55Le sentiment des éléments représentés dans l'intuition sensible fusionne avec le sentiment du son. Ce sentiment fusionné engendre le son de manière inconsciente. C'est dans ce sentiment fusionné que la représentation est fixée et reproduite. Ce sentiment, tel qu'on le trouve dans les mots onomatopéiques, s'affaiblit progressivement. En revanche, l'association du contenu de la représentation avec une sensation auditive se renforce toujours, devient de plus en plus étroite. Enfin, la sensation auditive commence à agir d'une manière qu'elle ne pouvait auparavant atteindre qu'à l'aide du sentiment.4

56Le concept de « sentiment de la langue » [Sprachgefühl] fonde la conception de l’« activité de parole » [Sprechtätigkeit] du « néo-grammairien » Hermann Paul (1846-1921) (Paul, [1920] 1970, 30). H. Paul évoque ce terme de « sentiment de la langue » [Sprachgefühl] dans le contexte des développements où il cherche à définir le but de la description linguistique (Ibid., 28). Cette description doit nous montrer l’organisation du « sentiment de la langue » [wie sich das Sprachgefühl verhält] (Ibid., 29).

57Le philosophe du langage Fritz Mauthner (1849-1923) consacre au phénomène de « sentiment de la langue » une vaste séquence de sa « critique du langage » où le « sentiment de la langue » est clairement mis en relation avec l’usage de la langue (Mauthner 1912, 521). Selon Mauthner, c’est à travers cette familiarité avec le son que chaque mot prend une tonalité affective qui est déclenchée par une sonorité connue depuis l’enfance. On se trompe si on réduit cette tonalité affective aux mots qui donnent l’impression d’une imitation par les sons. Tout mot courant possède cette tonalité affective et il est nécessaire qu’il l’ait pour que nous puissions parler (Ibid., 521-523).

58Les linguistes de l’« âge psychologique » de la linguistique du XIX siècle (tels que Hugo Schuchardt et Georg von der Gabelentz) appliquent le terme de « sentiment de la langue » au phénomène de « symbolisme phonique » ainsi qu’à celui d’« étymologie populaire ». Ainsi, Gabelentz formule sa conception du « symbolisme phonique » [Lautsymbolik] dans la partie « Le sentiment symbolico-phonétique » de son traité de 1891. Pour lui, ce « sentiment de la langue » possède une valeur étymologique (Gabelentz 1891, 205).

59Dans son étude sur la « charpente sonore du langage », Jakobson cite à ce propos un passage de Gabelentz : « A mesure que nous acquérons notre langue maternelle, notre sentiment s’étymologise, pour ainsi dire, sans le moindre égard pour la linguistique historique » (Jakobson, Waugh 1980, 219). Pour Gabelentz comme pour Schuchardt, il existe « un concept fructueux […] sous ces étymologies historiquement ‘fausses’ mais synchroniquement valables, qui sont fondées sur un accord général au sein d’une communauté linguistique données » (Ibid., 219).

60C’est sans doute chez Jacobus van Ginneken (1877-1945), professeur à l’Université de Leyde, qu’on trouve les considérations les plus élaborées sur le « sentiment de la langue ». Le phénomène de « sentiment de la langue », de même qu’au sens plus large la question des « sentiments » dans le langage, sont traités en termes d’« adhésion », ou encore de l’« adhésion de l’intelligence ». L’intelligence est comprise ici comme la « conscience de soi ».5 Ginneken définit la « conscience de soi » comme « une nouvelle force » qui assure une unité (« un enchaînement ») des représentations et des sentiments. Selon lui, c’est « une force qui a immédiatement conscience de ses propres actes » (Ibid., 51-52).

61Ginneken définit aussi « cette force transcendantale » comme « conscience de soi », « adhésion » ou « assentiment ». Ce terme qui doit, selon le même auteur, remplacer le terme d’« aperception », est une traduction française du terme néerlandais beaming : littéralement « dire oui, amen » (Ibid., 53). Remarquons qu’il s’agit bien d’une notion « empathique » : en effet, selon Ginneken, « adhérer, c’est être du parti, du sentiment de quelqu’un […] s’attacher complètement à une opinion » (Ibid., 54). Dans les actes de l’« adhésion intellectuelle » ou de l’« assentiment » qui comportent « la notion consciente de l’objectivité » (Ibid., 55), il s’agit pour Ginneken d’une « force spécifiquement humaine » qui est de fait « méta-cognitive » : « nous avons conscience de nos perceptions et de nos représentations, et ainsi nous nous séparons de notre milieu, nous reconnaissons l’objectivité comme telle : nous adhérons à notre connaissance sensitive » (Ibid., 55).

62Selon Ginneken, ce phénomène d’« adhésion », posé « comme cause psychique de la langue », n’est pas lié aux perceptions et représentations (Ibid., 55). C’est dans ce contexte que Ginneken se réfère à la conception de l’« empathie » [Einfühlung] de Th. Lipps. Selon Ginneken, l’idée principale de Lipps, formulée comme « exigence de l’objet » [Forderungen des Gegestandes], est très proche de sa propre idée d’adhésion (Ibid., 55). Ginneken définit ce phénomène d’adhésion comme « la conviction intime de la réalité » qui caractérise certaines « conceptions » (il s’agit des « noms de toute chose imperceptible » : éther, ions, énergie potentielle) » (Ibid., 55). Pour Ginneken, ce phénomène d’« adhésion » est « l’essentiel de la pensée » (Ibid., 65).

63Le rôle des sentiments dans le dispositif du langage conduit au phénomène que la psychologie et la linguistique d’alors désignent par le terme de « mouvements expressifs ».

64W. Wundt, quant à lui, accentue la nature émotive de l’expression. Le noyau de la conception de Wundt constitue sa doctrine des mouvements expressifs. Selon cette dernière, au début de l’émergence de la conscience se situerait un mouvement impulsif. Ce mouvement serait provoqué par l’affect qui est la première réponse à toute impression sensible. Wundt associe étroitement le mouvement réflexe et l’expression au point d’évacuer de sa conception psychologique tout mouvement conscient ciblant un but précis. C’est à cet égard que sa conception s’oppose à la conception de l’expression chez Darwin, pour qui les mouvements réflexes sont décrits comme des vestiges des mouvements à orientation pragmatique ou adaptative, c’est-à-dire guidés par un but (comme l’action d’attaquer, l’action de fuir, etc.) (Wundt, [1900] 1911, 92).

65La part extraordinaire de la « visée » dans le modèle du langage lippsien trouve son équivalent dans les conceptions volontaristes du langage, conceptions qui situent la syntaxe entre volonté et représentation.6 Ainsi, Wundt fait une distinction entre la pulsion et la volonté. La pulsion est une expression qui n’est déterminée que par un seul motif, la volonté est définie comme un choix entre plusieurs motifs dont les sentiments sont porteurs. La volonté se développe à partir de la pulsion ; cette transition est le point de jonction à partir duquel Wundt cherche à expliquer l’évolution de l’homme (Wundt, [1900] 1911, 674). Pour Wundt, la vision darwinienne reste trop intellectualiste, elle relève d’une interprétation intellectualiste de la vie mentale ; or, on ne peut pas considérer l’utilité ou l’aspect pragmatique comme une cause originelle du langage. Si la conception de Wundt octroie la place dominante aux représentations, la vie psychique est dominée par le sentiment [Gefühl]. Le modèle psychologique de Wundt considère l’intériorité individuelle, le psychisme individuel comme le véritable foyer de l’évolution psychique au détriment de tout stimulus externe. L’évolution de la conscience est tributaire de l’émergence de l’affect, ce dernier est l’élément clé de la vie psychique.

66Ainsi, chez Wundt, le sentiment devient autosuffisant, il renonce à toute action dirigée vers l’extérieur. En accord avec le principe du parallélisme psychophysique, le corps participe lui aussi à l’écoulement du sentiment. Ce principe conditionne un lien étroit entre un mouvement isolé et un sentiment isolé, il conduit ainsi à la conception d’un système de mouvements expressifs qui relève avant tout de la mimique. Cette conception intuitive ou réflexive de l’expression rapproche le modèle wundtien de la conscience d’un modèle esthétique. Les contenus des représentations participent aux affects, c’est pourquoi un mouvement corporel apparaît plus important qu’une simple manifestation d’accompagnement des représentations. C’est ainsi que la sphère du langage parlé n’est pas limitée au son. Pour Wundt, les deux formes essentielles [Grundformen] de l’expression des représentations des affects sont les gestes déictiques et les gestes imitatifs qui sont des composantes originelles du langage gestuel. Par conséquent, toute expression verbale apparaît comme un mouvement expressif. Ces mouvements expressifs s’articulent en gestes déictiques qui se rapportent aux objets présents et en gestes imitatifs qui relèvent de la mémoire. La représentation se développe à partir de l’imitation. Les catégories du langage reproduisent ce schéma à l’aide des gestes verbaux (Ibid., 164).

67Selon Wundt, le langage surgit dans l’individu en tant qu’expression. Pour Wundt, la pulsion de communication n’a jamais joué un rôle primordial dans ce processus. C’est surtout en tant qu’expression d’une représentation que le mouvement expressif a le pouvoir de susciter chez les interlocuteurs des affects identiques, dans la mesure où c’est l’effet des représentations concordantes qui est capable de susciter une concordance des affects. C’est alors qu’on voit apparaître chez l’interlocuteur un mouvement qui le touche agréablement car il est la confirmation et l’intensification de ses propres intentions. Progressivement l’auditeur conçoit de nouvelles représentations et le mouvement participatif devient un mouvement de réponse. Au fur et à mesure, l’accentuation principale des contenus des représentations fait baisser les éléments affectifs [Gefühlselemente] des affects et de ce fait les affects eux-mêmes. L’affect vécu en commun au gré des mouvements expressifs, devient une pensée commune qui se confirme dans l’échange des mouvements expressifs (Ibid., 254-255). Chez Wundt, l’affect n’est jamais lié à un but précis, il reste entièrement subjectif. L’expression affective ne cherche pas à communiquer, elle n’a aucune communication pour but. Il s’agit dans ce type de communication d’une décharge de sentiments subjectifs et par ce fait de la confirmation de son propre être.

68Ernst Cassirer reprend l’hypothèse du langage gestuel et du geste verbal de Wundt dans sa philosophie des formes symboliques. Pour lui aussi, les gestes déictiques – c’est-à-dire le fait de saisir à distance [das Greifen in die Ferne] – est l’une des premières démarches par lesquelles le moi sensible et désirant éloigne de soi-même le contenu représenté et désiré ; c’est ainsi qu’on voit s’articuler un objet ou un contenu objectif (Cassirer 1923, 126).

69Ainsi, il convient de revenir sur la dominante esthétique de cette conception du langage. Cette dominante est surtout accentuée dans les positions de la linguistique « esthétique », celles de la « linguistique idéaliste », celle de Karl Vossler (1872-1949), positions qui reflètent la vision esthétique du langage formulée par le philosophe Benedetto Croce (1866-1952).

70Enfin, on peut évoquer dans ce bref aperçu de la linguistique empathique le cas de Charles Bally qui introduit en 1926 la notion de « sphère personnelle ». La « sphère personnelle » est conçue par Bally comme domaine de la « possession inaliénable », comme le moi et ses appendices mentaux, corporels, sociaux, etc. A savoir, le cas où l’énoncé exprime le rapport entre l’énonciateur et son point de vue sur l’univers, sa « sphère subjective » […] en tant qu’elle accède à la parole, et le « point de vue », la « sphère » d’autres êtres (cf. Forest 1999, 223).

71Par ailleurs, l’approche empathique du langage n’appartient nullement à l’histoire des idées linguistiques. Ce terme de « sentiment de la langue » reste également opérant à l’ « âge préstructuraliste » et « structuraliste » de la linguistique, Ainsi, Karl Bühler (1879-1963), lui aussi, recourt souvent au terme de « sentiment de la langue » dans sa Théorie du langage, en particulier là où il discute la « valeur positionnelle » des éléments phrastiques (Bühler [1934]1982, 338), la stabilité des formes casuelles, ou encore la formation d’« un nouveau sentiment de la langue » en fonction du changement de certaines positions des éléments dans les syntagmes (Ibid., 338-339). C’est par l’effet du « sentiment de la langue » que cette stabilité syntaxique est finalement expliquée. Ainsi, en 1934, Nikolaj Troubetzkoy (1890-1938) se plaint, dans un texte rédigé en allemand, qu’en l’absence d’études préparatoires sur la question de la phonologie du russe il devait se fier à son propre « sentiment de la langue » [Sprachgefühl](Trubeckoj 1934, cité in Durovic 1997, 70). En localisant les passages de Roman Jakobson (1896-1982) où il est question du « sentiment de la langue », on peut constater que pour lui ce concept tient compte des forces « inconscientes » au sein du langage et qu’il fusionne parfois avec le phénomène qu’il désigne par le terme de « structures subliminales ».

72On peut en donner de nombreux exemples beaucoup plus récents qui sont résumés et commentés dans l’ouvrage de R. Forest.7 Ses études des notions empathologiques se fondent sur l’analyse des réfléchis, des pronoms anaphoriques, des réciproques et du passif. Forest qualifie sa propre approche comme une perspective énonciative de la syntaxe (Ibid., 17). Ces études convergent dans l’idée selon laquelle « il peut être pertinent d’envisager l’attitude de l’auteur de productions langagières envers les participants des procès décrits par ce qu’il énonce […] attitude qui peut impliquer un certain degré d’identification à ces participants » (Ibid., 16). La lecture empathique procède par l’adoption des « points de vue » [viewpoints / points of view] des participants des procès (Ibid., 16). Elle vise la propriété des langues définissables comme « intersubjectivité des énoncés » (Ibid., 229). Et Forest de continuer : « L’énoncé est susceptible d’exprimer le rapport entre l’énonciateur (et son point de vue sur l’univers, sa ‘sphère subjective’ (…) et le point de vue, la ‘sphère’ d’autres êtres » (Ibid., 229). Pour Forest, « une telle propriété d’‘intersubjectivité’ (…) est porteuse de part en part de la marque de fabrique des langues, elle ne se conceptualise pas en dehors de la modélisation linguistique » (Ibid., 230). Enfin, on peut évoquer dans ce contexte diverses modifications tardives du concept psychologique de « sentiment de la langue », comme par exemple, « l’activité épilinguistique », définie comme non-consciente par rapport à l’activité métalin|guistique consciente (Culioli 1990, 9-46 ; 74-75).

73Ainsi, les positions de Lipps sont caractéristiques à plusieurs égards :

  1. en ce qui concerne la position dominante du « sentiment » ou de l’émotion dans le dispositif langagier (son émergence chez l’enfant, son évolution, son activité, ainsi qu’à l’égard de la question de l’origine du langage).
  2. en ce qui concerne les relations entre le langage et la volonté : le langage est conçu comme expression directe de la volonté.
  3. en ce qui concerne l’engagement corporel dans la production langagière. Cette perspective introduit une vaste problématique des « mouvements expressifs », du langage gestuel, du « geste verbal » et de la « métaphore sonore ».
  4. en ce qui concerne la dimension expressive du langage : en effet, une branche entière de la linguistique psychologique pourrait recevoir le qualificatif de « linguistique expressive » (position qu’on peut résumer comme suit : le langage est avant tout une expression). Cette notion d’expression est omniprésente dans la linguistique dite idéaliste ou anti-positiviste du tournant du 19ème-20ème siècles (Ecole de K. Vossler, néolinguistique italienne).
  5. en ce qui concerne l’identification de la linguistique avec l’esthétique. En effet, cette approche du langage du point de vue de son potentiel expressif conduit à assimiler la linguistique à l’esthétique.

74Tout cela permet de distinguer au sein de la linguistique psychologique d’alors la tendance définissable comme la « linguistique empathique » qui constitue le contexte immédiat de la conception langagière de Th. Lipps.

Conclusion

75Le langage est pensé par Lipps comme la zone essentielle d’expansion du moi, au même titre que d’autres outils de l’expansion personnelle tels que le corps, un vêtement, un bâton, un outil en général. A l’instar de ces supports d’élargissement du « moi », le langage chez Lipps est intimement lié à la volonté personnelle (Lipps 1903-a, 16-22). Lipps rappelle puissamment que l’individu parlant, le locuteur, s’identifie à ce qu’il dit, c’est-à-dire à lui-même en tant qu’« être de langage » ou encore « être verbal ». C’est cette intuition essentielle que n’ont pas pu faire disparaître tous les enseignements du structuralisme. C’est ce fait psychologique à l’origine du langage qui se trouve dans le fondement de la fonction conative et par conséquent de l’acte même de la communication. L’individu parlant vit immédiatement le langage et à travers lui les contenus de la conscience ainsi que sa propre activité.

76Il s’agit pour Lipps de rappeler que le langage est vécu par le locuteur sur le mode immédiat, c’est–à-dire comme quelque chose qui surgit par l’effet de sa volonté, comme l’expansion de cette dernière et ainsi comme l’expansion de son « moi ». Lipps a souligné l’identité profonde du langage et du « moi » parlant. En effet, pour tout individu, « mon langage » est aussi « moi ». Cette conviction intuitive est constitutive de la personnalité et conditionne son fonctionnement. Comme dans le cas d’un bâton ou de tout autre instrument, c’est à travers le langage que le locuteur touche le monde et autrui, qu’il soumet le monde et autrui à sa volonté. C’est en tant qu’« organe de ma volonté » que « mon langage » est « moi ». Dans la mesure où le message émis par le locuteur agit sur l’interlocuteur, ce dernier devient le « moi » de celui qui parle.

77Lipps propose ainsi une vision particulière des fondements psychologiques de la pragmatique et de la communication. Le locuteur agit non seulement sur les éléments ou le matériau du langage (donc sur sa « partie sociale » ou la « langue » au sens de Saussure), mais il agit aussi par le langage. Dans cette activité, il s’agit pour le locuteur de son propre « moi » vécu à travers l’ensemble de ses sentiments.

78Le langage participe à ce sentiment de « tension » et à ce sentiment d’activité [Spanungsgefühl, Aktivitätsgefühl]. L’activité du langage s’accompagne du sentiment de tension ou de tendance [Streben] qui traduit un certain effort de la volonté. Comme toute activité volontaire et comme toute contraction des muscles, l’activité du langage est tributaire de ce sentiment de tension (cf. Ibid., 17-18). C’est la manière personnelle de Lipps d’anticiper sur le concept de vouloir-dire, tel qu’il est défini actuellement en pragmatique et en didactique des langues.

79Comme tout sentiment, le sentiment de l’activité du langage ainsi que le « sentiment du langage » [Sprachgefühl] est au dernier recours « sentiment du moi » (Ibid., 17). Le langage au sens de Lipps fournit le lien et la transition entre divers types de contenus de la conscience. Le « moi » tout entier est intégré dans le « sentiment de la langue » qui habite le locuteur tout au long de sa relation avec la langue. Si le langage est compris comme une série de caractéristiques du « moi », l’activité du langage peut être assimilée au « moi » vécu immédiatement dans cette activité (cf. Ibid., 19-2). Ainsi, l’apport essentiel de Th. Lipps réside dans l’anticipation de quelques grands thèmes et d’orientation de recherche pertinents pour les sciences du langage actuelles.

    Notes

  • 1 Sur le rôle du « sentiment primitif » par rapport au contenu de la représentation voir (Steinthal 1860, 84). Voir aussi le résumé de Bumann (Bumann 1966, 121).
  • 2 Voir sur l’activité productrice du langage comme « l’intuition sensible », les relations entre l’ « intuition sensible » et la « représentation », ainsi que des définitions du terme d’Anschauung dans : (Steinthal 1860, 79, 81-82, 98-99) ; sur les relations entre l’« intuition sensible » et la « forme interne » de la langue : (Steinthal 1858, 132-133). Voir aussi le résumé de (Bumann 1966, 121-122).
  • 3 Sur le fonctionnement du sentiment dans le passage à la sensation et à la perception (Steinthal 1881, 307-311) ; sur les relations entre le « sentiment » et la « représentation » (Ibid., 375-376).
  • 4 Voir sur l’affaiblissement du lien entre le « sentiment » dans la reproduction de la « représentation » (Steinthal 1860, 83); voir aussi : (Bumann 1966, 121).
  • 5 Voir Livre second, « L’intelligence et son adhésion » (Ginneken 1907, 50).
  • 6 Même s’il convient naturellement à opérer une distinction psychologique par ailleurs très subtile entre la notion de « visée » et la notion de « volonté ». Voir à ce sujet (Pfänder 1904, 265).
  • 7 Pour élaborer son approche « emphatologique » du langage, Forest s’inspire des travaux des linguistes japonais Sige-Yuki Kuroda et Susumu Kuno (Kuroda 1971, Kuno 1987).

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Published in:

Romand David, Tchougounnikov Serge (2021) Theodor Lipps (1851-1914): psychologie, philosophie, esthétique, langage/psychology, philosophy, aesthetics, language. Genève-Lausanne, sdvig press.

DOI: 10.19079/138650.7

Full citation:

Tchougounnikov Serge (2021) „Le langage comme Einfühlung: la conception du langage de Lipps dans le contexte de la linguistique de son temps“, In: D. Romand & S. Tchougounnikov (éds), Theodor Lipps (1851-1914), Genève-Lausanne, sdvig press.