Series | Book | Chapter

258028

Outline

Catégories, paradigmes, gouvernement

Louis Hjelmslev

pp. 206-209

Lines

Séance du 17 avril 19511

1Hjelmslev répond aux questions posées par Diderichsen lors de la séance du 10 avril 1951.

21. Il faut délimiter les catégories et les paradigmes en fonction de critères appropriés : l’important est de savoir ce que l’on vise. Hjelmslev n’a jamais établi cette délimitation à partir de la position des expressions de signe (la position initiale ou finale de l’article n’a aucune importance, de même que le temps est exprimé par des infixes ou des suffixes). Le facteur décisif, c’est la position fonctionnelle : par « position » on entend ici la somme de certaines fonctions. Il faut choisir une unité quelconque comme point de départ : Hjelmslev choisit le syntagmatème (c’est-à-dire le syntagme minimal, l’unité la plus petite qui soit dotée à la fois d’un thème et d’une caractéristique ; sur le plan de l’expression cela correspond à la syllabe). Si, par exemple, on a affaire à un thème + nombre, genre, cas et article, on aura des fonctions entre ces morphèmes. Les unités qui contractent les mêmes fonctions appartiennent au même paradigme. Le test de commutation nous montre que, par exemple, chaque morphème casuel peut se combiner avec n’importe quel autre mor|phème, tandis qu’il n’est pas possible de remplacer un cas avec un genre en obtenant deux genres dans un même syntagmatème. Dide|richsen mentionne l’article danois en tant qu’exemple problématique de délimitation. Fischer-Jørgensen affirme que le syntagmatème se révèle être une unité trop petite pour y appliquer la commutation. Cela peut amener à distinguer des morphèmes qui ne sont peut-être que des variantes dépendant d’un facteur se trouvant en dehors du syntagmatème. Il faut partir d’une unité assez étendue pour inclure toutes les fonctions pertinentes. Il en va de même pour le plan de l’expression : il est impossible d’appliquer la commutation d’accent sur des mots constitués d’une seule syllabe – on a besoin d’une unité de plus ample étendue. D’autre part, il est possible de commuter des taxèmes à l’intérieur de la syllabe, étant donné qu’ils sont définis sur la base des fonctions qu’ils contractent à l’intérieur de cette unité : tous les membres d’une catégorie de taxèmes contractent alors la fonction en question. Il s’avère peu satisfaisant que la fonction définitionnelle ne soit pas commune à tous les membres d’une catégorie. Quant au premier point, Hjelmslev est du même avis que Fischer-Jørgensen : quand il s’agit d’appliquer la commutation, il faut prendre en compte une unité plus grande. En ce qui concerne la deuxième question, qui porte sur la fonction définitionnelle, il n’y a aucun parallélisme entre expression et contenu. L’accent et la modulation n’ont pas de sous-catégories (sous-types). Quant au contenu, Hjelmslev trouve adéquate cette procédure de définition.

32. Au sujet des conditions pour le gouvernement, Hjelmslev maintient que s’il y a gouvernement entre le sujet et le prédicatif (ou accord), ceux-ci sont, de ce fait, des grandeurs structurelles. Cette construction peut être distincte de celle constituée par adjectif attributif + nom, dans laquelle on a le même accord : en effet, si les deux membres pris ensemble peuvent à leur tour entrer dans un gouvernement, il y a attribution (the man is a big swindler), tandis que s’ils ne le peuvent pas, il y aura prédication (on fait ici abstraction des propositions en tant que membres). Evidemment, cela ne nous permet que d’identifier le sujet dans les propositions dotées d’un prédicatif. Si parfois il n’y a pas d’accord de nombre grammatical, cela n’a aucune importance, parce que dans ce cas le singulier prend toujours la place du pluriel – le singulier étant extensif –, ce qui ne nous empêche pas de parler d’accord. En danois, on ne retrouve l’accord de genre que dans le cas où il y a un prédicatif adjectival. Diderichsen partage cet avis, tout en soulignant que le « sujet » devient ainsi un concept plus restreint, ne désignant qu’une grandeur dans ces propositions copulatives, et que la notion traditionnelle de « sujet » est une définition superflue d’un « membre décliné au nominatif ». Hjelmslev affirme que l’objet ne sera qu’un translatif sans accord avec le nominativus verbi ; il faut qu’il soit possible de définir la diathèse (la catégorie d’actif ou passif) comme solidaire avec une catégorie constituée du nominativus verbi + locatif (« der » = there). Diderichsen réplique que cela vaut pour n’importe quel morphème verbal ; Hjelmslev répond que les autres morphèmes verbaux (temps, mode) sont définis par des formes spécifiques de gouvernement. On est donc en mesure de décrire de façon plus précise la dépendance mutuelle entre le nominatif et le locatif, d’un côté, et les morphèmes verbaux, de l’autre, en disant que cette dépendance ne vaut que pour ces cas (nominatif et locatif) et pour la diathèse. Elle sera donc définie différemment des autres catégories morphologiques verbales. En ce qui concerne la différence entre l’actif et le passif, on peut dire (si on se borne aux exemples donnés dans l’article de Diderichsen) que l’on a affaire à deux constructions : [nom. + vb. + translatif] (de æder ham = they eat him) et [nom. + vb. + af (by) + translatif] (han ædes af dem = he is eaten by them).2 Dans le dernier exemple, on pourrait désigner le verbe comme passif. Mais cela n’est pas possible si l’on considère un corpus plus large, car il y aura des exemples tels que han æder af dem (he eats part of them)3 et vi mindes ham (we remember him),4 etc. Fischer-Jørgensen demande si la commutation entre de æder/de ædes n’est pas suffisante pour reconnaître ces deux formes comme des membres appartenant à la même catégorie.

43. Définition de gouvernement. Si on a des fonctions, ce sont toujours les catégories qui les contractent, même si elles peuvent être plus ou moins grandes et inclusives : si une préposition gouverne un cas, on aura des sous-catégories ayant chacune un seul membre. Incidemment, il ne servira à rien d’utiliser le terme « syntagma|tème » en connexion avec celui de « gouvernement » : il faudra parler de « syllabème », car on ne sera pas en mesure de dire quelles langues sans syllabe ou sans nom ont des syntagmatèmes (selon la définition du terme),5 même si elles peuvent avoir des faits de gouvernement.

54. En abordant la question du gouvernement jonctionnel, Hjelmslev précise qu’il utilise dorénavant la notion de « rection » dans le sens de « gouvernement » (c’est-à-dire une cohésion dont les fonctifs n’entrent pas dans un seul et même syllabème), tandis que le terme de « direction » est utilisé dans le sens d’un gouvernement qui établit une nexie. Dans l’article Essai (Actes du IVe Congrès de Linguistes, Copenhague 1936, pp. 140-151), le terme « direction » est utilisé dans le sens de « gouvernement », tandis que la « direction nexique » est employée pour définir les catégories – ce qui est désigné dorénavant comme « direction ». Il est peut-être plus pratique de tenir compte du gouvernement jonctionnel en danois, mais dans ce cas on ne pourra pas appeler « morphèmes » ce genre de grandeurs. Il est très important de définir ce qu’on peut établir sur la base de la direction au sens strict du terme, afin de pouvoir enregistrer les différences entre les langues. Si l’on tient compte du gouvernement jonctionnel, le génitif appartiendra à une catégorie spéciale, et pas à la catégorie des cas – ce qui ne serait guère approprié.

    Notes

  • 1 [Texte publié en anglais en (1970), Bulletin du Cercle Linguistique de Copenhague, 8-31, pp. 168-171].
  • 2 Ædes est la forme passive du présent en danois.
  • 3 Dans ce cas, le danois af ne correspond pas à l’anglais by.
  • 4 Mindes n’est passif que du point de vue de la forme.
  • 5 Cf. « The Syllable as a Structural Unit», Proceedings of the Third International Congress of Phonetic Sciences, Ghent, 1938, pp. 266-272.

Publication details

Published in:

Hjelmslev Louis (2022) Essais et communications sur le langage, ed. Cigana Lorenzo. Genève-Lausanne, sdvig press.

Pages: 206-209

Full citation:

Hjelmslev Louis (2022) „Catégories, paradigmes, gouvernement“, In: L. Hjelmslev, Essais et communications sur le langage, Genève-Lausanne, sdvig press, 206–209.